L’été est à son apogée, le soleil à son zénith et la chaleur omniprésente en ce début du mois d’août. Je me prélasse depuis quatre semaines dans ma solitude, confortablement installée au manoir familial et préférant la brise de ma terrasse plutôt que celle de la ville. J’ai tout de même fait l’effort de me rendre chez mes quelques amis d’enfance moldus mais cela n’arrive pas tous les jours. A vrai dire, je me plais bien ici et je ne regrette nullement d’avoir refusé, une fois de plus, de me rendre dans cette colonie de vacances que Poudlard organise chaque année. Si les gens tiennent tant à l’inconfort et aux histoires d’adolescents, que grand bien leur fasse. Je me passe merveilleusement bien de ce camping en Irlande. La présence d’une inconnue dans ma tente n’aurait fait que m’ennuyer. J’ai reçu des nouvelles de quelqu’un qui y est encore, actuellement. A ce qu’il paraît, les moustiques s’en donnent à cœur joie et les habitations sont aussi minables que les taudis. De plus, ils sont soumis à des séances d’entraînements de parcours et de duels qui font partie de leur quotidien. Comme je le pensais, je n’ai vraiment rien manqué à rester en Angleterre. Je n’ai pas besoin de tout ça pour être une sorcière talentueuse, j’ai tous les atouts possibles pour devenir quelqu’un, plus tard.

Je préfère la fréquentation d’un bon livre écrit par un chasseur de mages noirs, accompagnée d’un bon cocktail fabriqué par ma brave tante Daisy. Cela fait plus d’une heure que je tourne les pages, absorbée par les péripéties de ce chef d’œuvre authentique et passionnant. La chaleur me tape au crâne, mais je n’ai pas l’air de le ressentir. Allongée sur un transat et munie d’une paire de lunettes de soleil, je me plais dans ce silence divin. Je me plonge dans la scène d’un combat entre le chasseur Oswald Bigg et un mage noir du XVII ème siècle qui effrayait les villes anglaises sorcières d’autrefois. Ce dernier avait inventé bon nombre de moyens mortels d'atteindre ses cibles et il aspirait à la quête d’une potion capable de lui apporter la gloire et la vie éternelle. Cela me rappelle les ambitions démesurées de cette crapule de Lord Voldemort. Avant, les gens craignaient de prononcer son nom. Cette idée m’a toujours fait rire. Je suis curieuse de savoir comment c’était de vivre à cette époque, plus de vingt ans en arrière. Mes parents ont combattu ses partisans mais je n’ai jamais eu plus de détails que ceux que l’on a bien voulu me donner. Ma curiosité n’a de cesse de vouloir en apprendre plus et malheureusement, ce n’est certainement pas avec mon père que je pourrais en discuter autour d’un thé.

A cette pensée, mon regard quitte les mots imprimés pour observer furtivement l’intérieur de notre living-room, perceptible par la fenêtre donnant sur la terrasse. Je le vois, mon père. Il est en train d’échanger avec ma tante mais le double-vitrage ne me permet pas d’en savoir davantage. Sûrement est-il en train de lui lister tout ce qu'il devrait accomplir comme charge de travail, la semaine prochaine ? Cela ne m'étonnerait pas. Monsieur est un homme très occupé, très respecté et qui n'a pas de temps à perdre avec des variables qui n'affectent pas le monde magique. La renommée et le succès professionnel sont certainement des valeurs qui priment sur le reste, hum ? Il est revenu hier soir et, comme toujours, je n’ai ni eu droit à une conversation normale que tiendrait un père et une fille, ni même à un cadeau de sa part. Simplement les salutations. Simplement les formalités. Quoi que je dise, cela finit toujours par un débat froid et sec. Ca fait des années que ça dure et rien n’a pu changer quoi que ce soit. Je le vois détourner son regard en direction de la terrasse. Je retourne à mon livre aussitôt. Je ne veux pas qu’il pense que j’ai osé le regarder et quitter mon loisir pour me préoccuper de ce qu’il fait. Je suis censée m’en ficher, tout comme lui se fiche tout à fait de ce que je fais.

Oswald Bigg ne me connait certainement pas mais au moins, il parvint à capturer mon attention. Je passe à un nouveau chapitre et je plonge de nouveau dans son sombre univers.

Une brise me souffle dessus. Une autre fait doucement voleter mes cheveux. Cette sensation agréable me plonge dans une détente totale où rien n’interfère avec le monde dans lequel je me trouve actuellement. Après le spectre de la mort, voilà que Bigg se met à affronter un dragon dressé par l’impitoyable mage noir. Il narre la manière dont il est parvenu à en arriver à bout, après avoir employé des subterfuges ingénieux et efficaces. Cet homme est un exemple, un grand sorcier qui n’a pas volé les honneurs. J’oublie peu à peu la pensée de mon père, buvant les textes que mes yeux océan ne cessent de quitter. Lorsque le bruit d’une porte ouverte fait vibrer mes tympans, je crois simplement que ma tante est descendu arroser le jardin où de fières fleurs ont admirablement bien poussé, cette année. Elle le fait très fréquemment, soucieuse de l’esthétisme de notre petit domaine et toujours poussée par l’idée de faire plus beau que le voisinage. Malheureusement, mon esprit est trompé. Ce n’est pas elle. Alors que je me laisse encore impressionner par les prouesses de mon auteur du moment, une grande silhouette s’approche lentement. Je ne la remarque pas de sitôt et me contente de tourner de nouvelles pages.

Néanmoins, une voix grave ne tarde pas à s’élever. Dès lors, je reconnais celle de mon père. Je ne le regarde pas encore. Je demeure concentrée sur le mot « sortilège » écrit, me demandant clairement quel bon vent l'amène par ici.

« Je viens de recevoir une lettre de l'école. »

Une lettre de l'école ? Bien qu’intriguée, je ne lève toujours pas les yeux. Je n’ai commis aucune infraction qui vaille un courrier de McGonagall. Les seules bêtises que j’ai pu commettre ont été faites dans la plus grande des discrétions et elles n’ont jamais eu de conséquences bien graves. Des broutilles, des plaisanteries. On peut dire que je suis une élève sérieuse, studieuse et presque modèle pour certains mais certains traits enfantins demeurent tout de même, parfois. Bon, j’en oublie les bagarres. Mais ça, c’est autre chose et j’ai toujours assuré mes arrières vis-à-vis des témoins. D’un autre côté, si je peux ne pas être friand du règlement, cela ne m’empêche pas de le respecter la plus grande partie du temps. Après tout, ces règles ne sont pas faites pour les chiens.

Je ne dis rien, suite à sa première annonce. Il s’agit sûrement de la liste des fournitures à me procurer pour ma prochaine rentrée. Mais dans ce cas, pourquoi se donne-t-il la peine de me l’apporter lui-même ? Tante Daisy peut très bien s’en charger, ou alors, ils peuvent bien attendre que je rentre de ma lecture profonde pour le découvrir. Non, cela cachait autre chose. Cela ne pouvait pas être quelque chose d’aussi banal. Je finis par arquer d’un sourcil, ma curiosité piquée à vif. J’attends qu’il m’en dise plus. Et il le fait.

« Je me défais de mes fonctions au Ministère. Je rejoins le corps professoral de Poudlard pour enseigner les Défenses contre les Forces du Mal. Je tenais à ce que tu le saches à l'avance. » Me dit-il avec son habituel ton amer qui m’horripile tant, tout en me tendant la lettre.

Cette seconde annonce est celle qui me trouble le plus. Non, elle me choque. J’essaie de le dissimuler, de rester impassible et calme, mais c’est difficile. Je peine à le croire. Ai-je bien entendu ? Lentement, mes yeux quittent enfin mon ouvrage. Ils croisent son regard fermé. Non. Il ne ferait pas ça. Ce n’est pas possible. Je fronce les sourcils, me demandant à quel moment il m’avouerait le but de cette farce. Malheureusement, jamais Stanislas Breckenridge n’a été du genre à plaisanter et surtout pas au sujet du monde professionnel. Son ton en témoigne ; il dit la vérité. Le problème est que tout ceci n’est absolument pas rationnel. Je déplie le fameux courrier, dans un bruit de froissement. Je peux y reconnaître le traditionnel sceau de Poudlard, ainsi que l’écriture calligraphique de la Directrice de l’école. Mon père ne ment pas ; il y a ici bel et bien la preuve qu’il enseignerait la Défense contre les Forces du Mal.
« Tu n’es pas sérieux ? » Fais-je avec incompréhension et suspicion.
Ma voix n’arrive pas à dissimuler ma surprise. Je peux être une bonne comédienne mais aujourd’hui, cela me dépasse. Je replie la lettre inconsciemment, avant de la lui rendre. Cette nouvelle me brusque.
« Tu mettrais ce si beau ministère glorieux de côté pour une profession sans honneur ? Je ne peux pas le croire. » Ajouté-je entre stupéfaction et sarcasme.
J’ignore si c’est une annonce positive. Du jour au lendemain, voilà qu’il vient de retourner une situation qu’il a pourtant tant chéri. C'est un sacré comble. Lui qui se nourrit tant de ses exploits en tant qu'adjoint du bureau des Aurors, il serait prêt à se défaire de son parcours si rempli de récompenses pour un malheureux poste de fonctionnaire payé en misère ? Quelque chose cloche.

Rien ne le trahit. Pas même l’once d’une micro-expression. Neutre, il continue de maintenir la distance entre nous et il semble ne pas être troublé par mes réponses. En fait, j’ai l’impression qu’il me annonce cela comme si de rien était ; comme si tout était normal. Je déteste cela, chez lui. Je ne mesure aucune émotion lorsqu’il me parle, mis à part son cynisme qui fait tant sa signature. Je le sais rude, je le sais fort de ses années d’expérience en tant qu’Auror tout puissant, mais je sais aussi qu’un masque doit toujours finir par tomber pour équilibrer une personne. Or, lui, est toujours le même. Au beau milieu de ce soleil radieux, sa présence ose imposer ses propres couleurs, sa propre aura écrasante et froide. D’un seul coup, il rend ma brise beaucoup plus fraiche et frissonnante. C’est ainsi qu’il inspire facilement le respect chez ses pairs et la crainte chez ses ennemis. Ils n’ont jamais fait long feu et je n’ai nullement l’envie de savoir comment ils ont fini. Sûrement de manière pathétique et honteuse. Personne n’arrive à lui tenir tête, sur le long terme. Moi, j’essaie de le faire même si je sens bien qu’il est difficile d’égaliser avec son ego. Toutefois, j’ai confiance en moi, alors j’écarte un peu la peur que j’ai toujours ressenti à son égard. C’est à cause de lui que j’ai créé ma carapace mais je tiendrai toujours debout.

Peut-être parce qu’au fond, j’ai envie qu’il soit fier de moi.

Nous portons chacun un poids mais de différente nature. Seulement, il m’a imposé le sien dès mon enfance. Peut-être ne l’a-t-il jamais voulu mais il s’est complètement planté. Malgré le fardeau de cette distance à assumer et à compenser, j’ai tout de même su trouver une forme de satisfaction. Les seules choses que j’aurais héritées ‒ à l’exception de son caractère ‒ sont ses passions et ses goûts. Dans l’art, j’y ai trouvé un réconfort, que ce soit dans la musique ou la peinture. Oh, je ne sais pas peindre, ni dessiner. Mais j’ai aiguisé ma créativité dans celle des autres. Cela m’a permis de m’échapper et de visualiser un monde meilleur auquel aspirer.

« Il se trouve que j'ai trouvé plus important. Tu n'es pas sans savoir toute affaire abandonnée dans ou en dehors de l'école. Comme le garde du corps du Ministre de la Magie. Une cagoule de Mangemort dans les cachots. La fête forraine. »

Il dit cela sur un ton si grave que cela en ferait trembler les momies. Chaque mot devient un crescendo sinistre. J’ai le sentiment d’y voir de la fureur. Fidèle à lui-même, il exerce un self control parfait et demeure droit. Je soutiens son regard, cherchant tout de même la faille bien que je la sache inexistante.

Je me disais bien que s’enrôler dans l’enseignement en quittant définitivement le monde des mages noirs serait bien trop étrange et… beau. Pendant quelques secondes, je me suis faite un petit espoir. Je n’ai pas osé y croire, pensant que c’était stupide. Mais la réalité est qu’un poste tel que celui-ci le rapprocherait de moi. Je ne sais que penser. J’aimerais croire qu’il daigne enfin penser à moi. Mais maintenant, je n’en suis plus si sûre. La fête foraine est un excellent motif pour l’envoyer jouer à la pédagogie. L’événement de l’an dernier a été particulièrement terrible avec son lot de meurtres. Je n’y avais pas participé ; ce n’était pas mon truc les attractions et puis j’avais mes révisions à côté, si je me souviens bien. Ceci dit, cela reste tout de même déconcertant de savoir que l’on y envoie carrément le directeur adjoint. N’y avait-il donc pas de bons professeurs de défense contre les forces du mal parmi ses subalternes ?

« Devenir professeur me permettra d'aiguiser l'enseignement de la dite matière. Vous former pour mieux vous préparer, il ne doit pas y avoir d'autres pertes comme l'an dernier. »

Aiguiser l’enseignement ? Rien que ça. Il ne perd pas le nord. Mieux nous former ? J’ai l’impression de devoir mener une guerre. C’est sûrement ce qu’il pense. D’un certain côté, il n’a pas tort. Les derniers événements ne seront pas sans suite et je me doute bien que quelque chose se trame dans l’ombre. Mais je refuse de vouloir penser qu’il n’y a que ça. Mon mince espoir jaillit toujours en moi, me dictant des mots que j’avale difficilement mais auxquels j’ose encore croire.
« Et tu penses vraiment pouvoir être capable de t’occuper de centaines d’adolescents ? Tu m’as l’air déjà en difficulté avec une seule. »
Je fais exprès de le sous-estimer. J’ai envie de le tester. Je veux voir jusqu’où vont ses ambitions. Ne fais-je pas partie de ses plans ? Je veux le savoir. Est-ce que ce changement d’emploi mènerait à un tout autre changement ? Ce nouveau cap pouvait à la fois porteur de chance ou de malchance.
« Permets-moi d’en douter, papa. » Terminé-je, en reposant mon livre sur un accoudoir de mon transat.

Une dualité se créé. Je me redresse. Mon regard ne le quitte pas. McGonagall a peut-être accepté sa candidature, mais moi, je n'ai pas encore dit mon mot à ce sujet.

Même si je n’ai jamais eu le sentiment d’influencer quoi que ce soit chez mon père, cette fois-ci, il me semble inévitable qu’il passe par moi avant de s’engager sur cette nouvelle voie. Je me suis dressée devant lui, l’affrontant du regard comme si je l’empêchais de franchir la prochaine voie. Je veux être sa barrière, celle à qui il devra prouver sa compétence. Il ose s’immiscer dans mon monde après tant d’année à l’écart ? Ce n’est pas pour déplaire mon inconscient qui y voit là un espoir, mais je me méfie. S’il devient bel et bien professeur, nous nous verrons quasiment tous les jours et nos liens familiaux seraient dévoilés aux autres. Je n’ai jamais rien dit à personne au sujet de ma vie ou de mon quotidien en dehors de l’école, à l’exception d’Anthea. J’ai toujours été secrète et l’arrivée d’un membre de ma famille au bout milieu de tous ces élèves allait certainement me mettre sous les feux des projecteurs. Je les voyais déjà, ces regards curieux. Ils iraient sûrement me casser les pieds avec cette histoire.

Soupir.

Pourtant, je ne haïs pas tant que cela les regards, habituellement. Je n’ai rien à me reprocher, je m’aime et je m’admire. Je suis la meilleure de toutes, les autres n’étant que les pions de mon propre échiquier. Ils supportent la reine que je suis. Je sais que j’attire la jalousie et l’envie de ceux qui ne m’atteignent pas. Mais il y a eu une différence entre la reconnaissance de ce que l’on réalise et celle que l’on obtient à cause de quelqu’un. Mon père est quelqu’un, c’est indéniable. Il est connu dans son milieu et les journaux relatent de ses exploits. Je ne veux pas être simplement Narcissa, la fille de Stanislas Breckenridge. Je suis sans doute fière de sa grandeur mais je sais que sa même gloire m’a longtemps étouffée dans l’ignorance et j’ai bien peur que cela recommence à Poudlard. Une fois de plus, je crains que la distance continue de se creuser pendant qu’il amasse les honneurs. J’ai espoir, j’ai espoir, certes. Toutefois, je suis loin d’être naïve et mon esprit calculateur mesure toutes les possibilités.

Je ne veux pas être noyée dans son ombre, en plus de ne pas être digne, à ses yeux, d’obtenir son attention.

Il m’est impossible de lui dire le fond de ma pensée. Il s’en fiche. Ce serait une faille indésirable à ses yeux et lui, il n’en connait aucune. Il est irréprochable, dirons-nous. Les émotions sont une faiblesse, je l’ai bien vite compris, malgré moi.

« Narcissa, si tu crois une seconde que ton petit jeu va fonctionner, tu te leurres. »

Un haussement de sourcil dessine le cynisme qui caractérise tant bien notre relation. Ma tante a été la seule touche sentimentale qui a pu équilibrer ma psychologie. Mais même sa douceur et son honnêteté n’ont pas fait de moi quelqu’un qui exprime facilement ses états d’âme. L’absence de mon père ne m’a pas empêché de devenir comme lui. Qu’il le veuille ou non, il m’a transmis l’art d’enfouir mes émotions, que ce soit dans nos confrontations ou bien dans sa manière de me regarder. Pourtant, une part de moi ne veut pas devenir comme lui. Je ne peux pas avouer que je l’admire, car son arrogance envers moi me fait parfois penser le contraire. Entre amour et haine, la barrière est fine. Je l’ai déjà haï. Plusieurs fois, même. Cela ne dure jamais longtemps, mais ça reste un fait. La colère est souvent le déclencheur de mauvaises pensées qui ne nous traversent pas en temps normal.

J’ai beaucoup travaillé sur moi-même, au-delà de cela. J’ai appris à gérer un certain self-control calqué sur celui de mon géniteur. Cela m’a aidé à me maintenir à sa hauteur, en clignant rarement des yeux et en ne baissant pas la tête avec noblesse.
Il se redresse de la rambarde sur laquelle il s’est appuyé. J’ai lancé les hostilités en première et il se sent prêt à répliquer. Je sens qu’une nouvelle bataille va naître et encore une fois, nos ego vont s’entrechoquer. La mauvaise foi sera sur la place. Nos distances sont brisées ; je me prépare à l’affrontement.

« Surestimer, quel propos péjoratif. Je ne m'attribue aucune valeur que je ne possède pas. Je connais mon efficacité professionnelle et tu es la première à savoir qu'il faut savoir reconnaître ses propres capacités. Ce sont par des événements comme ça que les guerres entre sorciers sont nés. »

L’efficacité professionnelle… Elle ne t’a pas mené qu’à des victoires, papa. Tu as connu des échecs dont l’un qui nous a le plus coûté cher. Mais je ne t’en veux pas. Ou du moins, je sais que ce n’est pas de ta faute mais tu aurais estompé ta responsabilité si tu avais su prendre soin de moi. Je pourrais me permettre de t’attaquer sur ça, juste parce que tu m’as délaissée. Je pourrais faire parler mes peines, tu sais.

Peut-être que tu ressentirais enfin quelque chose, dans ton cœur ?

Je reconnais tout de même ses capacités, évidemment. Mais il n’y a pas que ça.
« Oui, bien sûr. Des capacités inébranlables, comme toujours, répondis-je d’un rictus. Je me demande si ces capacités vont t’aider à gérer ta vie personnelle, puisqu’elle se mêlera forcément à ton emploi. »

Autrement dit, va-t-il encore me mettre de côté pour sa gloire ? Je sais qu’un professeur n’a pas à échanger une quelconque complicité avec un élève. Seulement, les cours prennent fin à une certaine heure. Ses absences habituelles ne seront plus une excuse.

« L'absence de guerre ne signifie en rien la paix. Une centaine d'adolescents, voilà ce que je compte faire d'eux : des sorciers terre à terre, qui cessent de s'enliser dans un confort des plus méprisables. Profiter de la vie est une chose, apprendre de la vie en est une autre. »

Je ne suis pas le meilleur exemple d’une élève profitant de la vie. Ou du moins, cela dépend de la définition qu’on donne à l’expression « profiter de la vie ». Connaissant la situation du monde magique, je sais que la paix dans laquelle nous sommes bercés depuis des années n’est peut-être qu’illusoire. Rien est sûr. Cependant, il y a ceux qui se laissent doucement flotter dans le sentiment de la sécurité et ceux qui refusent de voir les bons côtés de la vie. Ils se font aspirer par les souffrances du passé, ils voient le mal avant de voir le bien et ils luttent tous les jours contre une probabilité, au détriment de quelque chose déjà existant sur terre tels que les liens de famille. Il y a un équilibre à atteindre et visiblement, mon père en est bien loin.

« Tu seras certainement un bien meilleur professeur que les autres pour leur apprendre la réalité des choses, ça, je n’en doute pas. Cependant, j’ai déjà de la peine pour ces élèves quand je sais qu’ils vont peut-être tous devenir comme toi, d’ici la fin de l’année. »

Ma tante m’a souvent raconté à quel point mon père souffrait de la mort de ma mère. Elle a souvent cherché à apaiser ma colère en lui cherchant des excuses, me disant qu’il se haïssait de l’avoir perdue de la main de ses ennemis et qu’il n’avait peut-être même pas fini son deuil. Je lui ai demandé en quoi j’étais responsable dans cette histoire. Elle m’a répondu que ce n’était pas de ma faute et pourtant, ce n’est pas l’impression que j’ai lorsque mon regard se confronte à celui de mon géniteur. J’ignore s’il transmet ses émotions véritables tant il cache bien son jeu ou ses pensées. Indéchiffrable, il est. Quoi qu’il en soit, il y a bien des questions qui demeurent secrètes et que j’aimerais tant élucider.

Malheureusement, toute communication finit toujours par se brider lorsque l’on se parle. Nous ne savions pas s’exprimer l’un envers l’autre et je sais que même ma tante a du mal à nous faire nous entendre sur certains points. Daisy… Une si brave femme à qui je dois bien des choses et pour qui je ressens le plus profond des respects et la plus sincère des affections. Mon père aussi. Mais c’est moins évident, puisque je refuse de me l’admettre tant il ne le mérite pas. Depuis le début, il n’a esquissé aucun sourire hormis un rictus.

Ses yeux retombent sur moi. Après avoir balayé le paysage, le verdict tombe.

« Bien entendu, je saurai ce que j'ai à faire. »

Il saura ce qu’il a à faire. Cette affirmation est prononcée sans la moindre trace de doute et pourtant, je n’arrive pas à le croire. Sa voix n’a pas tressailli, l’hésitation est inexistante et ses iris posés sur moi prouvent qu’il ne me fuit pas. Néanmoins, tout sonne faux à mon oreille. Tout cela n’est que le début d’un mensonge qui perdurait déjà dans le temps. Il a toujours fait son travail d’un point de vue professionnel mais je sais très bien qu’il s’engage sur une route qui lui est inconnue. Je ne suis pas idiote ; je devine bien qu’il a bien plus de chance de me décevoir encore une fois. Je ne réponds rien, cependant. Partant d’une hypothèse, je préfère ne pas me prononcer et d’attendre voir comment cela évoluera. Mais à côté de mon réalisme qui fuit la croyance des rêves, mes mots trahissent ma carapace pendant que mon espoir continue de s’enflammer. Je ne pense pas que mon père l’ait senti. Peut-être que c’est mieux ainsi.

Je détourne le regard pour observer le jardin. Bientôt sonnerait l’heure du thé et je pense que cette discussion prendra vite fin lorsque tante Daisy nous appellera. Heureusement que cette figure familiale m’a permis de rester stable. Elle a été les seuls bras qui m’ont caressée, protégée et câlinée. La seule à qui j’ai confié mes peines et qui a vu mes larmes. Je ne sais pas si elle l’a déjà à mon père mais, de toute manière, il n’a pas l’air de vouloir s’en soucier. Son regard glacial en témoigne de lui-même. Il pourrait me geler sur place s’il le pouvait. Et nul rayon de soleil ne pourrait me sauver.

« Je ne me suis jamais vu comme un exemple à suivre. Laisse moi t'exposer mon avis. Je décanterai mon expérience aussi bien pratique que spirituelle dans chaque promotion. Je leur donnerai la chance que bien des gens n'ont pas eu, assurer leurs arrières si l'envie leur prend de fonder une famille. A la fin de leurs études ils ne seront pas comme moi, ils seront meilleurs que moi. »

Je quitte la vue des plantes pour dévisager derechef sa posture imposante et froide. Mon père ne se prétend pas être un exemple à suivre ? Je sèche à ce sujet. Il sait pourtant qui il est et ce qu’il vaut. Je ne peux pas le croire, une fois de plus. Pourquoi se dénigre-t-il ? Il me ment. Je refuse de penser qu’il se rabaisse et qu’il ose me mettre de côté, malgré tout. C’est son orgueil qui l’a mené à cette situation. S’il était si modeste, il ne m’observerait pas de cette manière. Il ne me forcerait pas à l’affronter du regard.

« Donner la chance qu’ils n’ont pas eue pour qu’ils soient meilleurs que toi... Tu veux rendre leur vie plus belle juste pour te donner une bonne conscience. Mais ça revient au même. Tu veux t’occuper des autres alors que tu n’arrives même pas à gérer… »

Je m’arrête là, me contentant de secouer la tête de dégoût et de soupirer d’irritation. Toute cette conversation ne mène à rien. Ses arguments visent à l’embellir mais ça crève les yeux qu’il cherche le bonheur des autres tout simplement parce qu’il n’est pas capable de l’obtenir lui-même. Pour se sentir mieux. Il y a pourtant une autre solution pour l’atteindre mais il est trop obstiné pour vouloir le comprendre.

Doucement, il s’éloigne. Il sait sûrement que cette discussion n’aura pas plus de résultats que toutes les autres. Je sens la tristesse me submerger peu à peu. Ce sentiment affreux m’a déjà transpercée dans le plus grand des secrets et je refuse qu’il le voie. Je sens mes yeux s’humidifier. Je fais appel à toute ma force pour retenir les larmes parce que je veux m’imposer comme une fille forte. Je ne veux pas flancher. Je ne veux pas être faible. Les émotions n’ont rien à faire ici. Allez-vous en… Je n’ai pas besoin de vous pour m’exprimer. Tout est de sa faute !

Je regarde les buissons sur le côté, cligne doucement des yeux, faisant mine de chasser une poussière alors qu’en réalité, je chasse ma propre peine.

« Tu as toujours su t'approprier ce que tu voulais, peu importe le domaine. Mais ne tente pas de me briser, ce sera vain. Cette notion de possession, tu la tiens de moi. »

Je n’ai jamais cherché à le briser. C’est lui qui a fait tout le boulot et qui ramasse ce qu’il a semé.

« C’est bien l’une des seules choses qui m’aura été utile venant de toi. »

Lentement, légèrement hésitante, j’ose à nouveau le regarder. Mes yeux océan ont repris leur combativité. Je lui assure une nouvelle dualité. J’aimerais que cette rentrée soit le symbole d’un changement à venir. Je le désire tant. Je voudrais que tout ceci cesse.

Un monde meilleur. C’est qu’il a toujours souhaité créer et c’est l’une des raisons pour lesquelles il soutient tant Harry Potter, le survivant. Ses ambitions sont louables mais le prix à payer pour mettre cela en place est à revoir. Sa génération peaufine les plans pour que nous reprenions un jour le flambeau , mais je refuse d’avancer sur la route qu’il me trace alors qu’il n’est pas apte à comprendre mon propre cheminement. Cette incapacité n’engendrera que la formation de pics, de sentiers rocailleux et tortueux sur lesquels il se heurtera à chaque fois qu’il poursuit son voyage, sûr de ses principes mais passant à côté de la lumière véridique, tête baissée dans son obstination. Je ne demande pas à ce qu’il fasse demi-tour puisque rien ne changerait chez lui. Je souhaite tout simplement lui dresser suffisamment d’obstacles pour qu’il avance et daigne comprendre à quel point il se leurre sur bien des points.

« Ce sera mon lègue. »

Sa voix raisonne dans ma tête, dure et implacable. Elle ne se laisse pas manipuler, ni influencer. Elle s’impose comme telle, prête à faire déferler sa vague infernale sur le sable doux et chaud qui ne demande que l’apaisement. Son lègue. Je ne vois pas ce qu’il me lègue à moi. Une vie sans figure paternelle réelle ? Lamentable. Et ce regard fuyant ne donne aucun crédit à ses propos. Il m’a l’air de penser à quelque chose mais il est impossible de lire dans ses pensées. Le plus doué des legilimens aurait du souci à se faire. J’en profite cependant pour faire de même, jetant un œil aux alentours pour lutter contre ces émotions qui souhaitent me trahir. Lorsque je reprends bien vite le dessus sur la bataille, il réagit finalement à ma dernière réplique.

« Alors je me conforte dans l'idée que ce n'est pas la seule chose. »

Je déteste cette réponse. Il joue au sarcasme et j’ai tout bonnement le sentiment qu’il n’a que faire de ce que je dis, de ce que je pense. Il est têtu. Evidemment qu’il m’a appris d’autres choses mais la majorité ne venait pas de lui-même. J’ai dû chercher ces mêmes choses en tentant de m’approcher de lui, de m’intéresser à ce qu’il fait. Petite, j’ai vite appris à chercher mon autonomie pour me débrouiller dans cet univers où je ne voulais pas en demander trop à ma tante.

« Si tu le dis. » Lâché-je avec désinvolture.

Ce que j’ai appris de lui ? A devenir forte, intouchable, ambitieuse et confiante. Mais je ne l’ai pas appris pour des raisons joyeuses. Il a été ma première expérience de vie, celle qui m’a bien vite fait comprendre que les arcs en ciel n’existaient que dans les contes et que la réalité était autre chose. Cet enseignement sera sûrement l’un des fondements de mon avenir mais en attendant, il a bridé et altéré mon enfance. J’ai grandi trop vite et la seule trace de ma candeur demeurait dans mes bêtises qui le rendaient furieux. Aujourd’hui, la maturité s’est épris de moi mais il y a des traces du passé qui nous suivront toujours, jusqu’au bout. Ce sont elles qui vous permettent de rester vous-même et de ne jamais oublier qui vous êtes. Je continuerai à m’opposer à lui mais si ce n’est pas en commettant des travers, ce serait avec des paroles.

« A Poudlard, tout changera, crois-moi. Mais cesse, jeter des braises dans ton regard ne sera pas suffisant. Il n'y a aucun intérêt à feindre une force morale quelconque. »

La promesse d’un monde meilleur. La garantie d’un lendemain plus beau. Je n’y crois pas mais mon inconscient reste ouvert à cette première phrase. L’attente demeure même si elle est fragile. Si les choses changent, alors mon père se débarrasserait de cette cape glaciale et intraitable qui le recouvre. Mais je retiens également la fin de son propos, celui qui me fait douter et me fait passer pour une pauvre chose qui s’arme d’une épée dont elle ne sait pas se servir. Il me sous-estime, encore et toujours. Je ne feins rien du tout. Je l’ai, cette force morale. Pourquoi ne la vois-tu pas ? Pourquoi refuses-tu de le voir ?
L’agacement émerge mais je le contiens. Je suis patiente et il s’agit d’un ressenti que je peux contrôler, à l’inverse de la douleur. Mon ego est touché, ma carapace ressent le coup.

De la force morale, j’en ai bien plus que tu ne le crois !

« Formuler une promesse ne sera pas suffisant non plus. »

Je le mets au défi. Je ne veux pas que cette garantie soit faite sur un coup de tête. Il doit savoir qu’elle est primordiale dans cette famille et que je ne me contente pas de mots. Homme d’action qu’il est, le message devrait passer. Je finis par reprendre mon livre de ses mains. Je crois qu’il est l’heure de clôturer cette discussion, même si elle a désormais nourri mes attentes. Au même moment, la voix de ma tante atteint mes tympans sur un ton théâtral :

« Ton thé est prêt, Cissy ! »

Perceptible à l’entrebâillement de la fenêtre de la cuisine, elle m’observe, un fin sourire aux lèvres. Son beau visage apaise mes tensions et elle doit sûrement savoir que cette entrevue avec mon père ne s’est pas très bien passée. Je devine déjà qu’elle tentera de distraire mon attention pour me redonner le rire et l’amusement et qu’autour de ce thé, d’autres sujets viseront à mettre cette conversation terminé de côté. Sans un mot supplémentaire ou un regard envers mon géniteur, je remonte les marches en serrant mon livre contre moi. D’une démarche assurée, légère et gracieuse, je quitte la chaleur du soleil pour un rafraîchissement plus bénéfique.

{RP TERMINÉ}