La nuit commençait déjà à tomber lorsqu'il quitta le terrain, son balai sur l'épaule et la cape d'uniforme sous le bras. Il n'y avait pourtant pas eu d'entraînement ce soir-là, il avait seulement fallu qu'il s'occupe, qu'il fasse quelque chose, n'importe quoi... Encore une fois, c'était de la faute de cet abruti de Quincey, toujours en train de polluer son champ de vision et de lui rappeler son existence lorsqu'il parvenait enfin à l'oublier. Le dîner avait pourtant bien commencé, il écoutait distraitement Abygail lui parler du dernier livre qu'elle avait bien pu lire, un livre dont il ne se souvenait même pas du titre, décompressant enfin après une interminable journée composée de plus d'heures de potions qu'il n'aurait jamais pu en supporter dans toute une vie. Burgess était de ces tyrans qui se prétendaient profs et après la première impression massacrante qu'il lui avait volontairement faite – et qui était bien évidemment réciproque – elle semblait prendre un malin plaisir à faire de chaque instant de cours qu'il passait dans les cachots un enfer sur Terre... Il ne savait même pas pourquoi il y allait encore, convaincu de toute manière qu'il ne continuerait pas l'art délicat et exigeant qu'était la fabrication de mixtures dégueulasses et inutiles, il fallait croire qu'il était suffisamment masochiste pour trouver le courage et l'énergie de s'y traîner, à moins que ça soit simplement pour ne pas lui donner la satisfaction d'avoir eu la moindre victoire sur lui. Il n'abandonnerait pas, pas face à elle, il ne lui ferait jamais un tel cadeau. Pourtant, l'hypothèse du masochisme se tenait plus que bien également...

Le dîner, donc, avait commencé sous les meilleurs auspices, de discussions légères en plat agréable, jusqu'à ce que son regard clair se pose sur lui, assis un peu plus loin à la table de leur maison. Il ne l'avait pas fait exprès, il ne le faisait jamais exprès, et pourtant... Quincey était là, à quelques mètres à peine, discutant avec une bouffonne comme lui le faisait avec Abygail. Rien d'anormal en soi. Mais un rien suffisant pour lui nouer l'estomac, assassinant l'envie de finir son repas. Il avait reporté son attention sur son amie mais c'était trop tard, le mal était fait, et toutes ses pensées allaient immanquablement vers ce trouble-fête. Encore et toujours lui... Ne pouvait-il donc pas lui foutre la paix, rien qu'une fois dans sa vie ? Comme si ça n'était pas suffisant de le supporter tous les soirs et la majeure partie des journées, il fallait en plus qu'il s'immisce dans les rares instants où il n'avait pas la moindre place ! Fursy avait repoussé son assiette plus brusquement qu'il ne l'aurait cru, son verre se reversant sur la table sous le choc, puis il avait quitté la Grande Salle sans demander son reste... La suite avait été très vite : ses pas l'avaient porté jusqu'à son dortoir, il avait attrapé son balai et pris la direction du stade en sachant pertinemment que personne ne viendrait le faire chier là-bas. Et ça n'avait pas loupé. La tranquillité avait été totale. Totale ou presque. Il était là. Toujours. Hantant son esprit déraillant. Et cette fille, qui c'était ? Une Serdaigle, bien sûr, mais à part ça ? Plus les questions s'accumulaient plus il se haïssait de les laisser l'envahir de la sorte. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui foutre, en réalité ?! Elle était qui elle voulait, et ça n'avait pas la moindre importance. C'était la fatigue, le stress des examens, l'impression qu'il faisait forcément la même chose que lui... Rien d'autre. Ca ne pouvait être rien d'autre...

S'épuiser sur le terrain avait au moins eu le mérite de faire taire cette voix débile qui tentait en vain de lui faire comprendre quelque chose dans cette affaire lui déplaisait fortement. Il n'avait plus qu'une envie : aller se coucher et oublier tout ça. Oublier... Si seulement... La porte de sa salle commune se dessina plus vite qu'il ne l'aurait cru et celle de son dortoir plus encore. Entrouverte. Le rouquin la poussa, celle-ci ne fit pas le moindre bruit. A l'intérieur de la pièce, Quincey ne semblait pas l'avoir remarqué. Son regard s'attarda sur lui rien qu'une seconde, une seconde de trop – comme toujours – une seconde pendant laquelle toutes les questions qui l'avaient assailli revinrent en force. Sa main se crispa sur le manche de son balai alors qu'il laissait volontairement claquer la porte en soupirant avec une lassitude excessive. « P'tain, il manquait plus que toi pour achever cette journée de merde. » grogna-t-il alors qu'il traversait la pièce pour aller poser sa monture dans un coin, abandonnant au passage sa cape sur sa malle et ses chaussures au pied de son lit. Pas bonsoir. Pas la peine. De toute façon, c'était de sa faute. Tout avait toujours été de sa faute et quelque chose lui disait que ça continuerait à l'être encore un moment. Pourtant pour le coup, ça n'était pas non plus surprenant de le trouver dans leur chambre commune. Et cet adjectif faisait, lui aussi, partie du problème...

Qui ne serait pas ravi d’être inscrit dans la meilleure école de sorcellerie du monde avec son meilleur ami ? Et bien Thomas… Pourquoi ? Tout simplement parce que depuis quelques temps, tout était parti à volo. En y réfléchissant, il ne savait guère pourquoi leur relation s’était dégradée de la sorte. Quincey n’avait pourtant rien changé de son comportement. Il était resté le même. Il n’en était pas de même pour son meilleur pote Fursy. En grandissant, il était devenu plus possessif, plus sarcastique voir même méchant parfois. Aujourd’hui, leur relation n’était pas la même et ce n’était pas pour plaire au jeune garçon. Fursy avait été son premier ami lorsqu’il avait dû déménager à l’âge de 10 ans dans cette ville qu’il déteste tant, Roshdale. Sans cette tête de mule, il n’aurait peut-être pas retrouvé la pêche aussi rapidement. Maintenant, ce mec courrait à sa perte. Cela faisait maintenant quelque temps qu’il avait arrêté de chercher la cause de se revirement de situation. Au départ, il avait cherché à expliquer le comportement limite bipolaire de son ami, en vain. Une chose était sûre, il n’était pas responsable de tout ceci, il en était persuadé.

Thomas étant un bout en train, un véritable clown, il s’était fait d’autres amis. Mais c’était loin d’être la même chose qu’avec Fursy. Oh que non, rien ne pouvait remplacer son meilleur ami. Mais à quoi bon se détruire ? A quoi bon chercher à retrouver cette relation quand la personne en face de vous fait tout pour vous faire comprendre que c’est peine perdue… Quincey faisait maintenant son maximum pour ne pas plus croiser le chemin de son ex meilleur-ami. Comment faire quand vous faites partie de la même maison ? Que vous suivez les mêmes cours ? Et bien tu fais en sorte de ne pas le croiser en dehors des cours et du dortoir. C’était donc ce que faisait le jeune homme dans la mesure du possible. Pourtant, ce soir avait été un soir sans. Il n’avait eu le choix que de s’installer à table proche de son ancien ami. Il tenta de passer inaperçu mais c’était peine perdue. Fursy lui avait lancé un regard noir. Ne voulait pas rendre la situation encore pire, le jeune sorcier n’avait rien dit, préférant discuter tranquillement avec sa voisine tout en mangeant. Le repas aurait pu bien se passer mais c’était sans compter la mauvaise humeur de son ex meilleur ami qui après avoir renversé son verre décida de partir en fulminant de la salle des banquets.

Thomas n’avait rien fait pour le retenir, il savait pertinemment que ça ne servait à rien. Il s’était fait à l’idée d’avoir perdu toute complicité avec lui, tout partage. Il était très certainement parti se calmer quelque part. Il continua donc son repas tranquillement pour ensuite retourner au dortoir. Il devait réviser son cours d’astronomie. Il était passionné par ce genre de cours. Malgré son appréhension de venir dans cette école, il devait bien l’avouer, c’était à présent sa cinquième année d’étude et il trouvait tout ça si passionnant qu’il pourrait très bien enchaîner comme ça pendant encore dix ans. Il avait donc pris ses rouleaux de parchemin où il avait écrit ses cours puis une fois en pyjama, il se mit à lire tranquillement les notes qu’il avait prises dans son lit.

Malgré tout, il n’était pas dans le coup. Il repensait à la réaction de son ancien ami et il devait avouer que cette situation le faisait bien chier. Pourquoi ? Toujours la même question, pourquoi ? Pourquoi était-il comme ça ? Pourquoi agissait-il de la sorte ? Il n’avait aucune réponse. Au bout d’un moment, il fallait qu’il lui demande pour en avoir le cœur net. Après une bonne heure à lire ses notes, il prit la décision qu’il était à présent temps de dormir. Il éteignit donc la lumière pensant pouvoir passer une nuit sans agitation. Mais c’était sans compter Fursy qui le réveilla sans ménagement une fois de retour. Il avait claqué la porte si fort que Thomas avait fait un bon. Il avait de suite deviné de qui il s’agissait et lorsqu’il entendit la voix grave de son ancien ami, il ne put que soupirer. C’était trop cette fois-ci, il fallait qu’il ouvre sa bouche pour lui faire comprendre qu’il était mécontent.

« - T’es sérieux putain… Si t’avais juste fermé la porte normalement je t’aurais même pas fait chier… Je dormais ! Tu vas finir par me dire ce qui ne va pas ? Pourquoi t’es devenu le pire des abrutis avec moi ? J’ai fait quelque chose de mal ? Ou bien c’est toi qui a tout simplement eu un pet au casque ? »

Il fallait faire quelque chose, quitte à tout détruire définitivement ou bien arranger les choses… Mais en tout cas, il fallait qu’il sache…

Fursy avait eu beau cherché des explications, il n'en avait jamais trouvées. Les choses avaient changé, voilà tout. Et comme lui n'avait pas particulièrement changé à ses yeux, il était évident que cela venait du brun. Il avait dû s'adapter, rien d'autre. Quincey avait foutu en l'air leur amitié sans qu'il ne parvienne à comprendre ni comment ni pourquoi alors c'était normal de se venger, de le lui faire regretter, non ? Il lui manquait, parfois, mais rien que de le voir croiser son chemin suffisait à faire passer ce manque. C'était mieux comme ça. Pour tout le monde. Ce mec n'était qu'un bouffon de premier ordre et il ne méritait pas qu'il daigne lui accorder son attention. Seulement, il fallait bien reconnaître que c'était un échec lamentable. C'était même de pire en pire. S'il avait réussi à s'en éloigner dans les premiers temps, l'ignorant presque royalement, cet exploit n'avait pas duré bien longtemps. Il ne se passait depuis plus une journée ou presque sans que le rouquin aille chercher les ennuis. Tout était un prétexte suffisant : un frôlement involontaire dans un couloir, un regard maladroit, un mot déplaisant... Parfois même moins que ça. Il semblait finalement que le simple fait que Quincey existe encore soit assez embêtant pour qu'il ouvre les hostilités. Certes, il ne méritait pas qu'il daigne lui accorder son attention mais il était bien incapable de faire autrement. Même son absence était sujette à le déranger. Qu'il soit là, qu'il n'y soit pas, qu'il lui parle, qu'il ne lui parle pas, qu'il l'ait remarqué, qu'il ne le remarque pas... Rien ne lui allait jamais, il voulait tout et son contraire, partout, tout le temps. Il n'était pas aussi difficile d'ordinaire, soit il appréciait les gens soit il ne les appréciait pas mais il n'y avait bien qu'avec son ancien meilleur ami que la distinction s'avérait aussi compliqué. Si on lui demandait, il prétendrait avec une assurance troublante qu'il le détestait mais, en réalité, il savait pertinemment que ça n'était pas aussi vrai en permanence. Ils avaient été trop proches pour être aussi catégorique. Bien trop proches...

Le jeune homme n'avait même pas eu l'occasion d'afficher un sourire moqueur au sursaut de son camarade, il ne l'avait même pas vu, ayant détourné les yeux avant même que la porte ne s'écrase bruyamment contre le mur. « T’es sérieux putain… Si t’avais juste fermé la porte normalement je t’aurais même pas fait chier… Je dormais ! » Il dormait ? Et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire qu'il dorme ? Sa vie n'était pas épuisante au point de ne pas pouvoir supporter de perdre quelques unes de ses précieuses minutes de sommeil, tout de même, si ? Et quand bien même ce serait le cas, ça lui passait bien au-dessus. Lui ne dormait pas, le reste n'avait que peu d'importance. Il haussa les épaules alors que son colocataire reprenait. « Tu vas finir par me dire ce qui ne va pas ? » Le rouquin tourna la tête dans sa direction, sans un mot. Ce qui n'allait pas ? C'était une blague ? Le problème tout entier venait de lui, pire encore c'était lui-même le problème ! Qu'il ne vienne pas jouer les innocents, feindre l'ignorance, ça ne marchait pas avec lui ! Bientôt, il en arriverait à jouer les victimes débiles. « Pourquoi t’es devenu le pire des abrutis avec moi ? J’ai fait quelque chose de mal ? Ou bien c’est toi qui as tout simplement eu un pet au casque ? » Et bim ! Y'avait qu'à demander ! Un peu plus et on lui donnerait le bon Dieu sans confession à ce brave petit ! Fursy secoua la tête en soupirant de plus belle, détournant à nouveau son attention pour chercher son pyjama sur son lit. Dans sa cage, Bretzel s'agitait, mordillant les barreaux. Il devait commencer à avoir faim... Il n'était plus à deux secondes, il lui donnerait à manger après. « Rien que ta présence suffit à me faire chier, Quincey. » cracha-t-il avant d'ôter son pull et de le balancer sur le tas de tissus noir et bleu que formait sa cape. « Et arrête de jouer les étonnés, c'est tout ce que tu mérites et tu l'sais aussi bien qu'moi. » Est-ce que c'était seulement vrai ? Est-ce qu'il le méritait vraiment...? Parfois, il avait l'impression que non, qu'il s'acharnait pour rien, que tout cela n'avait aucun sens... Et puis son cœur s'emballait bêtement à sa simple vue et il réalisait qu'il fallait qu'il continue à s'acharner de la sorte, ne serait-ce que pour ne pas devenir dingue. Comme ce soir... Ces instants violents l'empêchaient de trop penser, de faire attention aux insupportables réactions dont il était l'unique cause. Mais c'était bien trop vague pour répondre à ses questions. « Estime-toi heureux que j'm'en sois pas rendu compte plus tôt. » Il n'avait aucune réponse, il n'en avait jamais eu et n'en aurait probablement jamais. Et Quincey devrait faire avec...

Ce soir allait sûrement être le soir de « la confrontation ». C’était bien trop dur pour Thomas de ne pas comprendre et surtout de devoir subir cette situation. Il prenait les coups depuis un moment maintenant sans rien dire. Au départ, il pensait que ce ne serait qu’une passade, qu’une sale mouche l’avait piqué et que ça allait finir par s’arranger. Mais plus les jours passaient et plus tout ceci devenait encore pire. Cette fois-ci, c’était la fois de trop. Quitte à se faire engueuler ou bien même se faire frapper, Quincey voulait savoir les raisons de ce changement d’attitude. Comme passer du comportement d’un véritable petit ange au comportement d’un véritable petit diable. Il savait pertinemment qu’il n’aurait pas de réponse de suite. Mais ça lui avait tout de même fait du bien de lui gueuler dessus. Le fait d’être réveillé en sursaut avait sûrement aidé à ce que le ton monte rapidement. Thomas était du genre impulsif au sang chaud. Et ce soir, Fursy allait en faire les frais. C’était bien trop pour lui pour qu’il ferme sa gueule. Il entendit les faux arguments de son ex meilleur ami comme quoi il savait pourquoi il agissait ainsi, lui faisant comprendre tout simplement que cette situation était simplement de sa grâce. C’était la phrase à ne pas dire, sans réfléchir, Thomas sortit de son lit, simplement vêtu d’un boxer. Il avait toujours pour habitude de virer son pyjama avant de dormir et il prenait tout autant de soin à le remettre avant de se lever. Mais cette fois, la colère avait commandé ses mouvements et il n’avait pas cherché à se rhabiller. Et puis merde ! Ils avaient déjà été dans les douches communes donc c’est pas le fait de se faire voir en culbute qui allait déclencher un raz de marée. Il vint rapidement à la hauteur de son ex pote pour venir le pousser contre le mur derrière lui. Il était à quelques centimètres de lui à présent.

« - Maintenant tu vas arrêter tes conneries putain ! J’ai rien fait pour que notre amitié se termine de la sorte ! T’es le seul fautif dans tout ça ! Tu crois que ça me fait plaisir que tu me gueules dessus à longueur de journée ? Que tu fasses comme si on ne se connaissait pas ? Putain on a été les meilleurs amis du monde ! Comment tu peux tout balancer comme ça et agir comme un étranger… »

Il avait la voir qui tremblait mais également ses mains. Il était à deux doigts de lui foutre son poing dans la gueule pour lui remettre les idées en place. Mais finalement, il n’en fit rien préférant se reculer de quelques pas pour finalement venir s’asseoir sur son lit. Il soupira tranquillement pour retrouver un peu de calme. Il détestait ce genre d’accès de colère mais bon, il avait été bien trop loin cette fois. Et puis, Thomas se disait qu’en lui rentrant dedans de la sorte, il finirait pas en savoir un peu plus sur les raisons de ce changement d’attitude. Malgré tout, Quincey savait pertinemment que son ex meilleur ami ne se laisserait pas berner de la sorte. Il n’allait pas passer aux révélations en si peu de temps. Mais peut-être que s’il le saoulait durant des heures cette nuit, il finirait par baisser la garde. Peut-être qu’il allait lui révéler ne serait-ce qu’une bribe de petite réponse pour savoir pourquoi il agissait comme un véritable connard.

Il aimait à penser qu'il n'avait rien voulu de tout ça. Qu'il avait seulement espéré rentrer se coucher sans heurts, juste trouver son lit et les bras de Morphée... Mais même toute la mauvaise foi du monde ne suffisait pas à s'en convaincre. Il aurait pu... Rentrer discrètement, attraper ses affaires pour aller prendre sa douche avant de se mettre en pyjama et de se glisser sous sa couverture, sans un bruit, sans un mot, sans qu'autre chose que la respiration endormie de son camarade de chambre ne trahisse sa présence. Cette même respiration qu'il avait pris l'habitude d'écouter tous les matins en se réveillant, comme la promesse rassurante que tout n'était pas foutu quand bien même il lui était impossible de savoir véritable d'où lui venait cette impression. Oui, techniquement, il aurait pu aller se coucher sans que rien de dérangeant ne se passe ce soir mais il ne l'avait pas fait. Une fois encore, il lui avait déclaré la guerre simplement parce qu'il fallait se venger de l'inadmissible, lui faire regretter l'incompréhensible. Parce qu'il était incapable de mettre le moindre mot sur le problème, ça allait bien au-delà. Il le ressentait le problème et c'était des choses dont on ne parlait pas. Se lamenter ainsi en pleurnichant, c'était un truc de gonzesse auquel il ne s'abaisserait pas. Un soupir et il finit par lui tourner le dos, détachant sa ceinture sans plus lui prêter d'attention. Pourquoi faire, de toute façon ? L'entendre encore se plaindre et geindre comme une gamine parce que c'était un méchant garçon avec lui ? D'ici qu'il le menace d'aller le dire à sa mère, il n'y avait pas des kilomètres. C'était d'un pathétique... Pourtant, il ne pouvait nier qu'il était tout de même content de lui. Quincey était réveillé, Quincey avait toujours conscience de son existence et visiblement il avait encore réussi à emmerder ledit Quincey. Au moins autant qu'il l'avait fait, lui, au dîner. Cette évidence le troubla plus qu'il ne l'aurait cru. C'était stupide, il ne s'était rien passé au dîner, il fallait qu'il se le sorte de la tête. L'image de la fille s'imposa avec plus de force encore. Il tira un peu trop brusquement sur la boucle de sa ceinture si bien que la lanière de cuir cingla son bras dans un bruit sec, le forçant à se reconnecter avec la réalité plus brutalement que prévu. Il la balança sur son lit et attrapa son pyjama, prêt à disparaître dans la salle de bain.

Pourtant, il n'eut que le temps de se retourner que le brun se ruait sur lui, le plaquant contre le mur sans le moindre ménagement. Le choc ne fut pas tant le mur que la tenue du jeune homme. Ou plutôt l'absence de tenue... Son regard clair avait eu le malheur de se poser sur le corps outrageusement dénué de Thomas. Tous ses muscles se bandèrent d'un coup alors qu'il tâchait de garder ses distances au maximum, semblant même vouloir ne faire plus qu'un avec le mur. Il aurait pu le repousser, bien sûr, mais quelque chose en lui refusait clairement de laisser exister le plus infime des contacts. « Maintenant tu vas arrêter tes conneries putain ! J’ai rien fait pour que notre amitié se termine de la sorte ! T’es le seul fautif dans tout ça ! » Son estomac se noua une nouvelle fois. Les millimètres paraissaient se faire la malle. Il ne savait pas si c'était la réalité ou rien qu'un délire de son imagination. Il sentait la chaleur qui émanait de son ancien ami, il avait plus conscience que jamais que le moindre geste suffirait à le frôler, à le toucher. « Dégage Quincey. » Ses prunelles se plongèrent dans les siennes, plus haineuses que d'ordinaire. Il s'étonnerait ensuite que les choses avaient changé ! Sa respiration se faisait plus difficile, plus brûlante également. « Tu crois que ça me fait plaisir que tu me gueules dessus à longueur de journée ? Que tu fasses comme si on ne se connaissait pas ? » Ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes. Le temps ne s'écoulait plus normalement. Il avait l'impression que cela faisait des heures qu'ils étaient là, presque l'un contre l'autre au beau milieu de leur dortoir silencieux. Même Bretzel s'était tu, sûrement spectateur attentif de la drôle de scène qui se jouait sous ses yeux. « Fous-moi la paix, merde ! » Son cœur jouait les anarchiques. Il était difficile de penser à autre chose qu'à son corps à moitié nu si près du sien. Ses mains étaient devenues moites, la chaleur plus étouffante.

Une chaleur intérieure et dévorante dont il préférait ignorer la cause... L'ignorait-il vraiment ? « Putain on a été les meilleurs amis du monde ! Comment tu peux tout balancer comme ça et agir comme un étranger… » Ils ne s'écoutaient pas. Un véritable dialogue de sourds. Chacun campait sur ses positions et tous les deux au pied du mur contre lequel son dos reposait toujours. Tout en lui n'était plus qu'un trouble immense. Son esprit ne faisait que lui présenter alternativement la greluche débile du dîner et ce qu'il avait aperçu de l'anatomie de son colocataire, son cœur n'en faisait plus qu'à sa tête, battant avec joie tous les records de vitesse. « Va te faire foutre. » Quincey consentit enfin à le laisser respirer et retourna s'asseoir sur son lit. Fursy détourna les yeux, fixant ses chaussettes sombres avec un intérêt aussi désespéré qu'inexistant. Ses poings toujours serrés cachaient tant bien que mal le tremblement de ses mains alors qu'il feignait de s'intéresser à la nourriture de son rat pour cacher son malaise et les couleurs de ses joues. Il le haïssait. Il se haïssait. Le mélange était étrange. Ses doigts se refermèrent sur l'un des biscuits de l'animal tandis que ses jambes le menèrent machinalement jusqu'à la cage qu'il ouvrit sans même s'en rendre compte. Bretzel se jeta sur la nourriture comme le malheur sur le monde et il referma la petite porte. S'il retrouvait peu à peu un rythme cardiaque normal, il sentait toujours brûler dans le creux de son estomac le feu que leur proximité avait attisé. Il observa le rongeur un instant, sans le voir vraiment, cherchant seulement à trouver un échappatoire. N'importe quoi. Tout serait bon. Mais il n'y avait rien. Il se sentait pris au piège, enfermé dans ce dortoir exigu dont les murs jouaient désormais contre lui avec ce détestable abruti... Il en avait totalement oublié son pyjama et la nuit qui l'attendait. Ca n'avait plus d'importance. Il n'avait plus envie de se laisser sombrer entre les bras frêles de Morphée en sachant avec certitudes que Quincey ne manquerait pas de venir hanter ses rêves et les faire tourner au cauchemar. « Ne recommence plus jamais ça. » S'il avait voulu que cela sonne comme un ordre, ça avait pris des airs de supplication qu'il regrettait déjà...

Il avait perdu son sang froid. Habituellement, il bataillait rapidement en retraite, préférant ne pas polémiquer pour ne pas avoir à parler pour ne rien dire. Mais cette fois-ci, Fursy avait agi d’une telle manière qu’il n’avait pas pu se taire. Il détestait qu’on le réveille et encore moins de cette façon. Son ex meilleur ami le savait d’ailleurs et au vue du bruit qu’il avait fait en entrant dans le dortoir, il avait clairement fait exprès de lui foutre la trouille pour qu’il se réveille en sursaut. Du coup, la colère avait pris le dessus et maintenant, il était en train de gueuler sur son ennemi, l’ayant attrapé par le colbac pour le plaquer contre le mur de leur chambre. Il avait déversé sa colère, lui montrant qu’il avait été bien trop loin cette fois-ci et que du coup, il fallait qu’il se calme pour ne pas finir par avoir son poing sur la figure ou bien même par avoir à faire à sa baguette magique. Il essayait de se débattre, il le suppliait presque de le lâcher, de le laisser tranquille. Pour la première fois depuis longtemps, c’était Quincey qui était en position de force et il comptait bien en profiter jusqu’au bout. Il avait tout de même fini par le lâcher après avoir terminé de lui dire ses quatre vérités. Il avait voulu frapper un bon coup et fort pour que son ancien ami comprenne que cette fois-ci, c’était la dernière fois qu’il s’en prenait à lui pour une raison qui n’avait clairement pas lieu d’être. Depuis le début de leur brouille, Thomas n’avait rien fait pour attiser cette situation, il n’avait rien fait pour l’empirer. Pire même, il n’avait rien fait pour créer ce point de non retour. L’incompréhension était le maître mot dans cette histoire… Et malgré ce coup de sang, ce coup de pression et bien le jeune homme n’avait toujours pas de réponse. Bien au contraire, Fursy s’était muré dans un silence qui était déconcertant. Pourtant, Quincey avait pu voir les réactions de son ex meilleur ami lorsqu’il l’avait agrippé et qu’il l’avait plaqué contre ce mur. Il était mal, limite gêné de cette proximité. Etait-ce ça qui le dégoûtait ? Se retrouver si proche de lui ? Ou bien était-ce tout simplement le fait qu’il soit presque nu ? En attendant, ça pouvait être une piste à creuser. La dernière phrase de Fursy allait d’ailleurs dans ce sens. Il lui avait demandé de ne plus jamais faire ça… Pourquoi donc avait-il mal pris ce rapprochement ?

« - Recommencer quoi ? Me lever de mon lit sans être vêtu ? Enfin presque pas vêtu ? Ou bien arrêter de te bousculer pour te faire comprendre que tu agis comme le pire des connards ? »

Il n’avait pas encore posé la question qui lui taraudait maintenant l’esprit. Il reprit place dans son lit, restant allongé et appuyé contre la tête de lit. Il continuait de regarder son ancien ami. Etait-il gêné de le voir torse nu ? De se retrouver si prêt de lui ? Avait-il des sentiments pour lui ? C’était quoi cette réaction finalement ? C’était tellement improbable que Thomas ne pouvait tout simplement pas y croire. Mais maintenant qu’il repensait à la réaction de son ennemi, ses joues presque rouges, c’était réellement troublant. Finalement, il ne le lâcha pas du regard et il finit par lui poser la question qui allait très certainement enterrer définitivement leur amitié.

« - C’est bien ça hein Fursy ! Faut que j’arrête d’être dans ton champ de vision parce que je te trouble ? Est-ce que mon corps de rêve t’attire ? Est-ce que tu rêverais de m’embrasser ? De faire des choses tellement inavouables que tu en fais des cauchemars la nuit ? Est-ce que tu oserais me dire que tu es tout simplement fou amoureux de moi et que ça te dégoûte tout simplement ?! Vas y porte tes couilles et dit le !!! »

Voilà les mots étaient dits. C’était à présent à Fursy de jouer franc jeu et de lui dire la vérité. Ou bien, il fallait tout simplement qu’il arrête de le faire chier. Pourquoi ne pas l’oublier tout simplement ?

Peut-être était-ce finalement la fois de trop ? Celle dont il aurait dû s'abstenir. Abandonner les armes à la porte de leur dortoir et accepter de laisser la paix s'installer rien que cette nuit. Peut-être en avait-il trop espéré, peut-être s'était-il enlisé dans une routine qui l'avait laissé trop sûr de lui ? Les choses ne changeaient jamais avec Quincey, ou presque, alors il n'avait pas imaginé qu'elles pourraient le faire ce soir-là. Changer et tourner à ce point en sa défaveur. Toujours plus dérangeantes. Toujours plus troublantes. Achevant ce qu'il pouvait lui rester de bon sens et de mauvaise foi. Il n'y avait plus vraiment de doutes : c'était leur proximité qui lui avait posé problème, son corps à moitié nu et l'envie d'y coller le sien. Difficile de le nier, même en se voilant la face. Se trouver des excuses – la fatigue, le souhait qu'ils se battent, la volonté de le repousser – il pouvait toujours, même si elles ne tenaient pas la route et qu'il était le seul à pouvoir y croire encore... Mais il ne pouvait plus davantage. Il voulait qu'il paye pour cet affront, qu'il regrette à tout jamais d'avoir osé rompre les distances. Mais pour l'heure, il voulait avant tout effacer ces images de son esprit. Oublier la chaleur qu'il avait ressenti. Anéantir l'espoir que cela recommence un jour. Ca n'avait strictement aucun sens. Ca ne devait pas en avoir. Il irait se coucher et, le lendemain, à la lumière d'une nuit conseillère, tout aurait un autre visage. Un qui ne ressemblerait pas à celui de son camarade de chambre. Il devait y avoir une explication logique, quelque chose de sensé, n'importe quoi. Il était prêt à tout prendre, à tout accepter pour un peu que ça éloigne pour toujours les craintes que ce soit pire que tout ce qu'il avait pu entrevoir un jour. C'était d'un ridicule à toute épreuve. Comme si ce bouffon pouvait réellement le mettre dans un tel état ! Oui, c'était tout bonnement ridicule. Bretzel dévorait avec appétit le biscuit qu'il avait laissé tomber au fond de la cage, semblant oublier jusqu'à ce qui s'était tramé à quelques mètres de lui. Si seulement il était capable d'en faire autant ! Il aurait donné n'importe quoi pour effacer de son esprit épuisé les dernières minutes de son existence...

« Recommencer quoi ? » Ne pouvait-il pas se taire, lui ? Jouer les morts, se rendormir, lui foutre la paix, l'oublier, disparaître, partir loin ! Fursy n'avait toujours pas daigné lui accorder un regard de plus. Trop occupé à donner toute l'importance du monde au rat que se fichait bien de l'intérêt qu'il lui portait. Qu'importe. C'était le seul échappatoire qu'il avait trouvé. La seule occasion de s'éloigner tant physiquement que mentalement de son colocataire. Pourtant, ce dernier ne semblait pas l'entendre de cette oreille, comme si l'indifférence dont il faisait preuve à son égard le dérangeait. Ca n'était pas impossible. Après tout, il l'avait réveillé, il pouvait bien vouloir se venger. Il n'y avait pas plus fourbe manière de le faire... Appuyer sur ses faiblesses. En était-ce seulement une ? De toute évidence... Difficile de le nier, ça aussi... Ca n'était pourtant pas l'envie qui manquait. « Me lever de mon lit sans être vêtu ? Enfin presque pas vêtu ? » Son cœur loupa un battement alors que devant ses yeux grands ouverts revenaient les images de ce jeune homme dévêtu lui sautant dessus comme un animal sur sa proie. Un frisson lui courut dans le dos alors qu'il s'efforçait de penser à autre chose. Bretzel. Il fallait rester concentrer sur Bretzel et ne plus écouter cet abruti qui se laisserait sûrement aller à une véritable logorrhée débile dans le seul but de le pousser dans le plus profond de ses retranchements. Il avait bien remarqué que l'avantage avait changé de main et il y avait fort à parier qu'il ne le laisserait pas lui revenir de si vite. Il en aurait fait de même, à sa place. « Ou bien arrêter de te bousculer pour te faire comprendre que tu agis comme le pire des connards ? » Ca datait pas d'aujourd'hui. Plus d'un an qu'il s'était éloigné maintenant. Il était peut-être temps qu'il le remarque, qu'il cherche à lui faire comprendre que Môsieur n'était pas satisfait par la tournure que prenaient les événements. N'était-ce pas mieux que l'ignorance, dans le fond ? A ses yeux, en tout cas, ça ne faisait aucun doute. Il préférait qu'il le déteste plutôt que de ne plus avoir la moindre place dans sa vie. Il préférait qu'ils se cherchent à tout va plutôt que de le voir passer à côté en feignant qu'il soit invisible... Non. Il ne voulait pas être rien, être personne pour ce crétin. Et c'était complètement con...

Le rouquin consentit enfin à lâcher le rongeur des yeux et contourna son lit où l'attendait toujours son pyjama. Sans un regard pour Quincey. Jamais. Il ne voulait plus. Seulement faire comme s'il n'était plus là et faire taire l'impression de trop peu de cette altercation. « C’est bien ça hein Fursy ! » L'interpellé ignora la remarque. Ca quoi de toute façon ? Il s'en foutait. Qu'il cause toujours. Ses doigts entreprirent de détacher sa chemise. Il était temps d'aller se coucher et d'oublier tout ça. Aussi flou qu'était le tout ça en question. « Faut que j’arrête d’être dans ton champ de vision parce que je te trouble ? Est-ce que mon corps de rêve t’attire ? » Son estomac se noua à nouveau, plus violemment qu'auparavant. Ca faisait mal. C'était la panique ? Non. Bien sûr que non. Il disait n'importe quoi. Mais n'importe quoi sonnait vrai. Affreusement vrai. Il se souvint de la conversation avec Maximilien, cette histoire de vie future à partager et de l'impression de malaise qu'elle lui avait laissé alors qu'il n'était question que d'une plaisanterie idiote. « Est-ce que tu rêverais de m’embrasser ? De faire des choses tellement inavouables que tu en fais des cauchemars la nuit ? » L'air venait à lui manquer. Les boutons glissaient sous ses doigts tremblants. C'était des conneries ! Rien que des conneries ! Seulement pour lui faire perdre son sang froid, rien d'autre ! Il ne fallait pas être stupide au point de tomber dans le panneau ! Pourtant la simple évocation d'un possible baiser et de choses « inavouables » réveilla chez lui la chaleur dévorante qu'avait fait naître leur insolente proximité. Il finit tout de même par achever de défaire la rangée de boutons et envoya le fin tissus blanc sur le tas de vêtements qui commençait à s'accumuler sur sa malle. Pas un mot. Rien. Il ne méritait même pas qu'il daigne lui répondre. Son corps tout entier se faisait raide et douloureux. « Est-ce que tu oserais me dire que tu es tout simplement fou amoureux de moi et que ça te dégoûte tout simplement ?! Vas y porte tes couilles et dis-le !!! » Il fut incapable de comprendre la suite. Tout le dépassa totalement. « La ferme ! » Ce fut tout ce à quoi il fut capable de s'accrocher avant de perdre pied.

En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, il avait bondi sur son camarade, le plaquant sur son lit, empêchant tant bien que mal toute fuite. « La ferme, c'est compris ?! » Sa voix se faisait plus agressive pour cacher son trouble mais ça n'était pas aussi convaincant qu'il l'avait espéré. Les cris risquaient d'ameuter du monde mais il s'en fichait. Il n'y avait plus rien qui comptait à part ce merdeux qui devait payer pour cette soirée, pour toute cette soirée. Le monde n'existait plus. Ni leurs camarades, ni leurs préfets, ni ce qu'ils pourraient penser s'ils débarquaient à cet instant précis, ni les sanctions qu'il encourait s'il finissait par lui taper dessus. Pourtant, il n'en faisait rien, se contentant de faire peser tout son poids sur le corps de Quincey pour éviter qu'il ne riposte. Il le surplombait totalement. Il n'y avait pas pensé. « Un mot de plus, rien qu'un, et je t'explose la gueule. » Peut-être aurait-il dû... Parce que chaque seconde qui passait le poussait à réaliser. Lui qui avait tant voulu éviter le moindre contact pouvait difficilement faire pire à présent. Il avait chaud. Son estomac se noua davantage. Il n'avait jamais eu envie de l'embrasser. Il n'avait jamais eu envie de rien le concernant. Il fallait s'en convaincre. Il devait s'en convaincre. Mais c'était difficile. Impossible ? Plus encore alors que son visage, pour la deuxième fois de la soirée, n'était plus qu'à quelques centimètres du sien. Son cœur résonnait dans tout son corps. Son sang battait à ses oreilles. Encore. Il sombrait dans un véritable cauchemar. Ca ne pouvait être rien d'autre. Dans une poignée de secondes, son réveil sonnerait et il serait délivré à tout jamais de cette histoire débile ! En attendant, son corps peinait à rester indifférent à celui du brun, comme s'il craignait que cette parenthèse délicieusement dégueulasse prenne fin trop rapidement. Il n'avait pas eu la présence d'esprit de nier quoi que ce soit et dans peu de temps ça ne serait plus la peine de le faire tant son être tout entier finirait par avouer à sa place...

Les intentions de Thomas étaient claires, il voulait tout simplement pousser à bout son ancien meilleur ami pour qu’il puisse s’exprimer et lui dire enfin la vérité. Il espérait secrètement que tout puisse s’arranger pour qu’il retrouve tout simplement leur amitié. Mais ce qu’il ne savait pas, c’était que cette soirée allait être tout autre et que tout allait s’empirer très certainement. En tout cas, ses derniers mots avaient eu le don de faire réagir Fursy qui avait surgi avec une telle vitesse que Quincey n’avait pas eu le temps de réagir ou bien de se protéger. Non, il se retrouvait sous l’emprise de son boureau. Cette fois-ci c’était son ancien ami qui était torse nu et en position de force. Il l’avait entravé, l’empêchant tout simplement de faire tout mouvement. Il n’avait aucune chance. Il n’avait pas assez de liberté pour récupérer sa baguette ou bien pour le frapper si fort à un certain endroit pour le faire partir. Il lui demandait simplement de fermer sa gueule sinon il finirait tout bonnement par s’en prendre une en pleine poire.

Que faire quand votre pire ennemi vous maîtrise et vous donne l’ordre de fermer votre gueule ? Est-ce qu’on l’écoute tout simplement ? Ou bien est-ce qu’on prend le risque de se prendre une droite en pleine gueule en ouvrant la bouche ? Ou bien est-ce qu’on fait autre chose que de parler ? C’était toutes les questions qui étaient en train de traverser l’esprit de Thomas. La proximité de leur corps n’aidait pas. Il avait déjà eu le regard attiré par la plastique de son meilleur ami. Mais il n’en avait rien fait. Tout simplement parce qu’il considérait Fursy comme son frère et qu’il ne voulait pas le perdre pour un stupide coup de cœur qui n’avait peut-être pas d’avenir. Ce soir encore, il ne put s’empêcher de jauger le corps de son ancien ami. Ce rapprochement avait eu le don de lui couper le souffle et de faire en sorte de le faire taire complètement. Il ne s’attendait pas à ça ou tout du moins, il ne s’attendait pas à ce que son camarade bondisse sur lui pour le bloquer sans pour autant rester calme et pacifique.

Pour la première fois depuis longtemps, c’était comme si cette petite guerre n’existait plus. Restait à voir ce qu’il allait advenir de cette entrave. La seule douleur qu’il pouvait sentir, s’était les mains de Fursy qui serraient ses poignets. Cela faisait maintenant de longues minutes que Thomas ne disait plus rien, espérant apaiser tout ça. Ses yeux étaient plongés dans ceux de son ancien meilleur ami. Son regard était si paisible que ça le détendait. Il ne voulait plus se prendre la tête avec lui. Il voulait que tout ceci s’arrête peu importe la façon de cette fin. Sans réfléchir, il avança un peu plus son visage de celui de son ennemi. Il effleurait presque ses lèvres maintenant. Mais il ne fit rien pour les séparer. Parce que malgré tout, secrètement, il rêvait que tout ceci devienne réalité. Peut-être que finalement, cette année de malheur devait finir de la sorte, par une belle fin et une nouvelle histoire qui finalement sera peut-être une histoire d’amour…

Non, c’était impossible, pas quand on connaît le point de vue de ce mec au-dessus de lui. Il n’assumerait tout simplement pas de se faire un mec…

De leur belle amitié, il ne restait plus que des ruines. Des ruines qu'il s'acharnait à détruire davantage encore chaque jour qui passait, comme si c'était possible. Qu'importe que ça ne le soit pas, il fallait y arriver. S'efforcer de n'en laisser plus rien, pour ne rien regretter et ne rien vouloir. L'objectif était clair mais pourtant difficile à atteindre. Trop difficile. Jamais il ne s'en était tant éloigné que ce soir. Ne rien regretter... Il ne se passait pas une semaine sans qu'il ne réalise combien il lui manquait, combien il avait été merveilleux de l'avoir à ses côtés en permanence, il ne se passait pas une semaine sans qu'il ne s'abandonne à se rassurer de sa présence en écoutant sa respiration endormie, revivant sans un mot les années passées. Ne rien regretter, c'était raté... Et comment pouvait-il prétendre ne rien vouloir désormais alors qu'il était là, penché sur le corps de Quincey ? Qui le croirait ? Lui-même ne parvenait plus à ramener sur la vérité le voile qu'il y avait si longtemps maintenu. Une lumière crue avait fini par se faire, éclairant avec cruauté tous les vices de cet éloignement. C'était ça qu'il lui avait fait, en fin de compte. Il s'était fait désirable sans même qu'ils puissent en avoir conscience. Les causes étaient floues, il n'y avait eu que des conséquences. Désastreuses. Était-ce juste de lui en vouloir ? L'avait-il seulement fait exprès ? Probablement pas. Mais cela ne changeait rien, le résultat était le même et c'était à lui de payer pour tout ça. Il n'y avait plus rien à nier, plus rien à refuser de s'avouer. Impossible de faire marche arrière de toute façon, il resterait hanter par les souvenirs de cette maudite soirée. Pourquoi avait-il eu la stupidité de le réveiller ? Il aurait pu s'échapper une fois de plus, fuir la triste réalité. Il s'était égaré trop loin pour espérer revenir sur le droit chemin un jour. L'ignorance n'avait pas suffit à le ramener, malgré les efforts entrepris pour feindre que tout allait pour le mieux, pour tenter tant bien que mal de s'en convaincre, il ne s'était jamais laissé aller à ressentir quoi que ce soit pour quelqu'un d'autre que lui. Ni Katherine, ni Daniela, ni n'importe quelle autre demoiselle que l'école ait connue. Il n'y avait personne d'autre. Il n'y avait jamais eu personne d'autre. Il n'y avait pourtant pas de quoi en être fier ! C'était dégueulasse, c'était inhumain, c'était totalement contre-nature ! Il n'avait pas le droit d'envier les filles qui l'approchaient. Il n'avait pas le droit d'espérer davantage que son amitié.

Le temps semblait s'être arrêté au moment où Thomas avait capitulé, n'offrant pas la moindre résistance. Les bruits des dortoirs alentours lui parvenaient encore mais il n'y accordait pas la moindre importance. Le monde pouvait bien continuer de tourner sans lui, il s'en remettrait pour un peu que son ancien ami en soit exclu avec lui. Son esprit plus perturbé que jamais par les vérités qu'il lui avait balancées en pleine tronche avait beau lui ordonné de fuir, de battre en retraite, de réinstaurer rapidement toutes les distances qu'il avait vaincues sans même y penser, son corps n'obéissait pas, trop heureux de profiter de ce contact dont il avait été trop longtemps privé. Conscient que ça ne durerait pas, peut-être aussi. Le combat n'avait pas lieu d'être et pourtant il faisait rage. Fursy ne savait plus ce qu'il voulait ni ce qu'il devait faire. Tout n'était que contradictions sans fin. Comment avait-il pu tomber si bas ? S'amouracher de son camarade de dortoir, de son meilleur ami, de celui qui avait partagé sa vie pendant si longtemps... C'était ridicule. C'était pathétique. C'était interdit. Il n'avait pas été élevé ainsi. S'il y avait des parents qui se foutaient éperdument de la sexualité de leur progéniture, c'était bien la seule chose qui devait intéresser son géniteur. Il voulait qu'il soit un homme, il avait toujours tout fait pour le pousser dans ce sens, le forçant à s'endurcir, à grandir sur une route des plus balisées... Et un homme n'avait pas à lutter pour résister à la tentation de s'oublier dans les bras d'un autre ! Il valait mieux que ça. C'était bon pour Hummel, pas pour lui ! Son cœur se mit à battre plus fort. Trop fort. Et trop vite. Il n'avait plus de prises sur rien. Ni ses émotions ni ses réactions. Tout était hors de contrôle. Ses pensées n'étaient qu'un flot ininterrompu de paroles insensées. Il voulait tout, il voulait rien. Que ça s'arrête, qu'il n'y ait jamais de fin. Son regard clair, noyé dans celui de son vis-à-vis trahissait à lui seul l'incertitude dans laquelle baignait le rouquin, exprimant tour à tour le désir et la haine. Il n'y avait aucun juste milieu. Ca n'avait jamais existé avec Quincey. Et ça n'existerait pas. Le jeune homme finit par bouger enfin, forçant son bourreau à revenir à lui. A eux. En le voyant s'approcher, il eut un mouvement de recul. Un mouvement qu'il avorta. Non, il ne savait pas. Il ne parvenait pas à faire taire tant son cœur que sa raison. Tout parlait en même temps, lui hurlant ce qu'il devait faire ou ne pas faire. Il méritait qu'il finisse enfin par lui foutre son poing dans la gueule mais l'envie n'était pas aussi présente qu'il aurait pu le croire. « A quoi tu joues...? » Est-ce que c'était seulement un jeu ? Il le savait perdu d'avance. Autant qu'il l'était lui-même. Fursy était bien incapable de détacher son regard du visage si connu de son ami. Outrageusement proche du sien. Leurs souffles se mêlaient comme s'ils ne faisaient qu'un. Ses doigts se resserrèrent sur les poignets du captif, craignant qu'il ne finisse par fuir. Il n'avait pas le droit. Pas maintenant. Plus maintenant... Ses lèvres entrouvertes le suppliaient presque d'achever ce qu'il avait commencé alors que son corps raide et méfiant lui promettait d'atroces souffrances s'il avait le malheur de s'y risquer...

Cette entrave agissait comme une véritable petite bulle pour Thomas comme pour Fursy. Pour la première fois depuis plus d’un an, il n’y avait plus de cris, plus de violence. Un apaisement bien mérité était en train de s’installer entre les deux ennemis. Le temps c’était totalement arrêté pour le plus grand plaisir de Quincey qui pouvait jouir d’un peu de tranquilité. La douleur qu’il pouvait ressentir au niveau de ses poignets était supportable et surtout, il commençait déjà à s’y faire, ne la sentant pratiquement plus. Il était resté là, à contempler la beauté de son ancien meilleur ami. Il s’était toujours dit que Fursy avait beaucoup de charme et qu’il le gâchait en restant bien souvent seul dans son coin. Depuis aussi longtemps qu’il le connaît, il ne l’a jamais vu avec une petite amie ou bien un petit ami. Pour ce qui était du petit ami, il avait ça petite idée sur le pourquoi du comment. Son meilleur ami lui avait déjà parlé de son père et vu les commentaires peu élogieux qu’il avait pour son paternel, il n’y avait pas de doute, il ne devait pas trop apprécier les « écarts de conduite ». Peut-être était-ce donc pour cette raison qu’il lui faisait la guerre depuis plus d’un an. Il ne voulait pas assumer ses sentiments tout simplement parce qu’il savait pertinemment que son père lui en mettrait plein la gueule et peut-être même qu’il le changerait d’école pour qu’il ne puisse pas rester avec l’homme dont il était amoureux.

Thomas avait finalement réussi à percer le mystère. Il ne lui en parlerait très certainement pas pour ne pas le braquer mais c’était une possibilité en tout cas. Pour l’instant, il préférait rester silencieux pour préserver ce moment de calme, de sérénité et de bien être. Il s’était risqué à une petite vague en rapprochant son visage de celui de son ancien ami, prenant le risque de tout perdre et de se prendre son poing dans la figure. Mais finalement, Fursy lui avait juste demandé ce qu’il était en train de faire. La seule conséquence de cet acte avait été qu’il avait resserré son emprise sur ses poignets, le faisait légèrement grimacer. Ce qu’il faisait ? Il laissait parler ses sentiments du moment. Il avait envie de rendre les choses meilleures, de faire en sorte que tout s’arrange entre eux. Peut-être que tout ceci allait courir à leur perte mais c’était plus fort que lui à présent.

« - Je me laisse guider par l’instant du moment. »

Il n’y avait plus grand chose à dire. Il avait fini par ne plus laisser d’espace entre eux deux, venant plaquer ses lèvres contre celles de Fursy. Comme il venait de lui dire, il se laissait guider par l’instant présent et ce que lui dictait ce petit gars, c’était de l’embrasser. Il en avait envie depuis qu’il était venu le bloquer dans son lit. Maintenant, il prenait tout simplement le risque de se prendre une bonne droite en pleine mâchoire mais il s’en foutait royalement. Ce contact le fit frissonner, c’était d’ailleurs la première fois qu’il ressentait une telle chose. Finalement, était-il lui aussi amoureux de Fursy ? En tout cas, la possibilité de vivre quelque chose avec ce mec au-dessus de lui se dessinait un peu plus au fur et à mesure que les secondes défilaient. Il ne pensait plus à rien…

Le silence qui s'était abattu sur leur dortoir était total, chose bien rare dans cette partie de Serdaigle. Les altercations qui se déroulaient sans cesse derrière la porte close des cinquième année avaient dû finir par devenir habituelles au reste du monde, il lui semblait presque plus personne n'y prêtait attention depuis bien longtemps. Et voilà que ce soir, après des semaines de cris sans fin, il n'y avait plus rien. Comme s'ils n'étaient plus là. Et force était de reconnaître que ça n'était pas aussi faux que leurs corps presque enlacés sur le lit de Quincey semblaient le dire. Ils étaient ailleurs. Loin. Dans un monde qui ne semblait appartenir qu'à eux. Probablement semblable à celui qu'ils avaient partagé pendant des années. L'attirance troublante qu'il pouvait bien ressentir pour le brun remontait-elle si loin ? Non, peut-être pas. Il n'en savait rien. Il n'avait jamais été assez innocent pour ne rien remarquer et se serait contenté de guerroyer contre l'intouchable plutôt qu'il ne l'avait fait. Il n'y avait plus qu'eux désormais, le reste était trop insignifiant pour compter encore. Des rires s'élevèrent des étages inférieurs, peut-être s'amusait-on dans la salle commune, mais ça n'avait aucune importance. C'était là, quelque part, mais ça ne le concernait plus. Il y avait plus digne d'intérêt que quelques gamines idiotes en train de faire les folles en attendant de s'endormir. Il y avait Thomas... Et la place qu'il avait prise ce soir-là. Une place plus effrayante que jamais. Il n'était plus seulement l'ennemi, l'ami perdu ou le colocataire imposé. Il s'emparait de rôles qui ne lui revenaient pas. Ou qui n'auraient jamais dû lui revenir, en tout cas... Le brun avait fini par s'approcher légèrement, assassinant sans honte les centimètres déjà peu nombreux qui les séparaient encore. Son cœur s'était emballé. Il n'y avait pas besoin d'être un habitué de ce genre de situations pour entrevoir la suite et pourtant, ça n'avait pas suffit à le faire renoncer. Il aurait pu fuir. Il l'aurait dû... Mais peut-être le voulait-il, en fin de compte ? Peut-être n'attendait-il que ça ? « Je me laisse guider par l’instant du moment. » Dans le fond, il se fichait bien de la réponse, il voulait seulement qu'il agisse. Il le voulait autant qu'il l'appréhendait. Les quelques millimètres survivants finirent par disparaître à leur tour, laissant les lèvres de son camarade se poser sur les siennes. Un interminable frisson courut le long de son dos alors qu'un nœud prenait place dans son estomac. Les premières secondes furent étranges, le plongeant avec plaisir dans un océan de craintes infondées puis le désir enfoui depuis trop longtemps remonta à la surface et le rouquin se risqua enfin à y répondre. Son étreinte sur les poignets du jeune homme se desserra tandis que ses mains remontaient jusqu'aux siennes, s'y accrochant comme si sa vie en dépendait. Peut-être qu'à cet instant précis, cela n'en était pas si loin... Il était tout simplement hors de question d'y mettre un terme et de rompre ce baiser, qu'importe si la mort elle-même devait venir le cueillir sur ses lèvres !

Pourtant, petit à petit, l'agréable douleur qui avait pris place au fond de lui mua. Elle n'avait plus rien de doux, plus rien d'enviable. Elle n'était plus la manifestation physique de cette attirance enfin satisfaite mais celle des regrets qui s'acharnaient sur lui. Qu'était-il en train de foutre ?! Comment avait-il pu être débile à ce point ?! Un dernier contact, preuve irréfutable de l'envie qui le poussait toujours vers lui, puis il se recula enfin. Lentement. Rompant le charme de cette parenthèse enchantée. Il s'agissait de Quincey, de cet abruti dont il s'évertuait à faire de la vie un enfer ! Qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour en arriver à ça ?! Ses mains quittèrent les siennes alors que se peignait sur son visage un mélange de sentiments dérangeants. L'incertitude, la colère, la honte, l'effroi... Il était perdu. Il était désolé. Il était amoureux, peut-être aussi... Et c'était bien là tout le problème. Que penserait ton père s'il apprenait que tu jouais les tapettes bien à l'abri des regards indiscrets, hein ?! Il avait beau avoir des défauts à la pelle, ne pas être le modèle qu'il aurait pu espérer, il avait tout fait pour que sa vie soit correcte et même s'il avait souvent échoué, le simple fait de l'avoir envoyé dans cette école dont il ne savait rien et dans un monde qui n'était pas le sien pour que les choses finissent par s'arranger suffisait à redorer son image. Rien qu'un peu... Il n'avait pas le droit de le décevoir, de s'éloigner à ce point de ce qu'il voulait qu'il soit. Il ne voulait pas voir dans les yeux paternels tout le dégoût qu'il lui inspirerait alors, il ne voulait pas comprendre que la déception était telle qu'il n'y aurait jamais de retour en arrière possible. Il lui devait tout et il ne pouvait pas lui faire ça. Il fallait tout arrêter, reprendre sa place de connard n°1, ruiner sa vie pour des convictions qui n'étaient siennes que parce qu'on les lui avait imposées. Il fallait lui offrir ce qu'il lui avait promis, laisser partir le coup qu'il avait tant mérité. C'était comme ça que ça devait se passer, pas autrement ! Mais il en était bien incapable. Pas maintenant, pas alors qu'appuyaient encore sur sa bouche les souvenirs de celle de Quincey. « Compte pas sur moi pour te servir de gonzesse, sale pédale. » cracha-t-il d'une voix faible et instable alors qu'il se relevait et lui rendait enfin sa liberté. « Tu m'dégoûtes. » Il ne lui adressa pas un regard de plus et retourna jusqu'à son lit, attrapant à nouveau le haut de son pyjama. Il était temps de mettre fin à tout ça, n'est-ce pas ? C'était une horreur. Il sentait physiquement la présence de son colocataire, il le savait là, plus proche que jamais... Une proximité de plus en plus étouffante à mesure que les images de leur rapprochement lui revenaient à l'esprit. Qu'il avait été bien contre lui... Son cœur battait à tout rompre. Son odeur, sa chaleur, l'impression que tout irait mieux pour de bon. Que c'était ça la porte de sortie dont il avait conscience sans parvenir à l'entrevoir... Ses mains tremblaient affreusement, son regard brillait des larmes qu'il refusait de laisser couler. Il était tombé assez bas comme ça, inutile de creuser davantage...

Ce souffle nouveau, cette sérénité, cette béatitude et ce bien être lui faisait tellement de bien. Comme s’il aurait dû agir de la sorte depuis toujours. Ce baiser allait être le début d’une nouvelle ère, d’un renouveau qu’il attendait tant. Mais c’était sans compter la mauvaise foi et surtout la haine de son ancien meilleur ami. Pour l’instant, il ne cherchait pas à savoir ce qu’il allait advenir de ce baiser. Non, il profitait tout simplement de la situation. Une chose était sûre, c’était qu’il avait senti Fursy répondre à ce bisou, comme s’il attendait tout ceci depuis toujours lui aussi. Thomas se sentait libre et libéré dans tous les sens du terme. Libéré de l’entrave de son ennemi qui avait fini par relâcher ses poignets pour profiter encore plus de ce baiser des plus tendres mais également des plus électriques. Le temps filait de moins en moins d’ailleurs cela faisait maintenant quelques minutes qu’il s’était arrêté pour leur plus grand bien. Plus de cris, plus de haine, juste un rapprochement qui faisait énormément de bien à Quincey. Il pensait d’ailleurs rêver. Mais pour l’instant, ce rêve était bel et bien réel. Que faire, devait-il rendre ce baiser encore plus intense en lui agrippant les hanches ? Ou bien de vait-il faire machine arrière de peur de perdre définitivement son meilleur ami ? Il était tiraillé entre le bonheur qu’il ressentait et la possibilité que tout s’arrête sur un coup de sang de Fursy.

Finalement, le rêve se transforma en l’espace d’un quart de secondes en cauchemar. Il avait fallu que la conscience torturée de son ex meilleur ami le taraude pour qu’il mette fin à ce baiser tout en devenant tout simplement désagréable. Finalement, il était toujours ce connard de première qui ne pensait qu’à une chose, faire souffrir les autres. L’entendre dire qu’il était une sale pédale et surtout entendre qu’il le dégoûtait n’était pas chose aisée. Sans qu’il ne réfléchisse, se laissant guider par ses sentiments totalement meurtris et brisés, Thomas se leva tout simplement pour finir face à son ancien ami. Il ne lui adressa pas un mot, lui décochant tout simplement un coup de poing en pleine gueule. Cette fois-ci, il avait été trop loin. Il s’était fait mal à la main mais ça lui avait tout de même fait grandement de bien. Il rebroussa ensuite chemin pour s’allonger à nouveau totalement détruit par tout ça.

« - T’as pas fini de stigmatiser tout le monde ! La pédale t’emmerde profondément et sache qu’à partir de maintenant c’est fini ! Tu pourras me rendre la vie impossible autant que tu veux j’en aurai plus rien à foutre ! T’es qu’un enfoiré de première qui ne mérite tout simplement plus que je m’intéresse à lui ! »

Il se remit sous la couette, se tournant vers la fenêtre de leur dortoir. Il avait tout dit. Fursy avait signé l’arrêt de mort de leur relation. Il avait fait son choix… Thomas était qu’une sale pédale et bien lui n’était qu’un connard qui ne méritait pas sa sympathie… C’était difficile à dire et à vivre mais finalement, ça lui ferait très certainement du bien d’oublier tout ça et de tourner enfin la page pour en écrire une nouvelle. Comme on dit, il n’y a pas qu’un poisson dans l’océan ou bien encore un de perdu, dix de retrouver… Il devait se reprendre et réapprendre à vivre et à rire tout simplement. Surtout, il devait apprendre à le faire sans son meilleur ami… Et dans tout ça, c’était tout simplement plus dur et le plus compliqué.

La magie s'était enfuie, laissant derrière elle que le champ de ruines qu'ils connaissaient désormais, ce même-champ de ruines qu'il s'appliquait à ruiner toujours davantage... Il était immensément doué pour ça. Pour tout gâcher. Pour laisser la culpabilité l'envahir toujours davantage. Sa mère, Daniela, maintenant lui... Question d'habitude à force. Bientôt il serait en mesure de ne plus y faire attention. Avec un peu de chance, en tout cas... Pourtant, cette fois, rien que cette fois, tout n'était pas complètement absurde et sans raison. Comment aurait-il pu laisser Quincey mettre sa vie en morceaux pour un entichement ridicule ? Il avait fallu se protéger, s'assurer que jamais plus rien de semblable n'arriverait alors. Peut-être serait-il un jour en mesure de comprendre ? Il aurait encore fallu lui expliquer. Lui dire qu'un homme ne pouvait pas décemment en aimer un autre, pas chez lui en tout cas, que tout ça n'était qu'une erreur stupide et qu'ils ne pouvaient que regretter ce qu'il s'était passé en se jurant de ne jamais recommencer. Non, ça ne recommencerait pas. Son estomac se noua à nouveau. Ces dernières minutes dépassaient pourtant tout ce qu'il n'avait jamais connu. Le temps qui avait suspendu son vol, sa présence qui avait évincé tout le reste de l'univers, le goût de ses lèvres qui resterait à jamais gravé sur les siennes... C'était incomparable. C'était délicieux. C'était terminé... Il finit enfin par enfiler son tee-shirt. Il faisait froid. Il ne s'en était pas rendu compte jusque là. A moins que ce soit la distance, la séparation. L'abandon ? Pouvait-il supposer que c'en était un ? Probablement pas... Pourtant il avait l'impression d'en être à la fois la victime et l'auteur. Double peine. Si seulement il n'y en avait que deux... Avant qu'il n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, son camarade arrivait devant lui et son poing partit presque aussitôt. La douleur ne tarda pas. Fulgurante. Presque rassurante. Ne l'avait-il pas mérité, dans le fond ? Il en avait conscience, bien sûr. Il avait été trop loin, pire encore que lorsqu'il finissait par en venir aux mains pour des raisons qui le dépassaient bien souvent. Ca avait été méchant, cruel, stupide... Même pas sincère puisqu'il ne le pensait pas. Pas vraiment. Il ne le pouvait pas alors qu'une seconde auparavant il aurait été prêt à tuer père et mère pour un peu que ce moment ne s'arrête jamais. Mais rien n'était figé. C'était un dérapage, une erreur de parcours. Personne ne le saurait jamais. Personne ne lui en tiendrait rigueur. Ca n'arriverait jamais qu'une fois. La plus merveilleuse de sa maudite existence.

« T’as pas fini de stigmatiser tout le monde ! » Avait-il seulement réalisé la stupidité de l'insulte ? A moins qu'il n'ait pas remarqué à quel point il s'était laissé aller à l'embrasser, y répondant comme s'il n'y avait pas plus évident au monde ? « La pédale t’emmerde profondément et sache qu’à partir de maintenant c’est fini ! » Une violente nausée le frappa à ces premiers mots. D'ordinaire, il n'en aurait eu que faire... Il avait grandi ainsi, toujours entendu son père insulter les rares pauvres gays qu'ils pouvaient bien croiser... C'était habituel. Même pour lui, finalement. Son ouverture d'esprit n'avait jamais été une qualité qu'on lui reconnaissait facilement, après tout. Mais ce soir, tout était différent. Ce soir, il s'agissait de Thomas... Il s'agissait d'eux... « Tu pourras me rendre la vie impossible autant que tu veux j’en aurai plus rien à foutre ! » Mais il ne le voulait plus... Pourquoi faire ? Pour finir à nouveau vautrés sur son lit à l'embrasser à en perdre haleine ? Sérieusement...? Si seulement... Fursy baissa les yeux, achevant de se changer sans un mot. Une erreur. Rien d'autre. Il n'avait pas à s'en faire ni à y repenser sans cesse. Pourtant il ne parvenait plus à penser autre chose. Il n'y avait que leur échange et l'impression troublante d'être le pire connard que le monde ait porté. Il ne voulait pas qu'il n'en ait rien à foutre. Il ne voulait pas n'être plus rien pour le brun. Qu'importe s'il le détestait, il préférait largement être son ennemi qu'une présence invisible à ses côtés. « T’es qu’un enfoiré de première qui ne mérite tout simplement plus que je m’intéresse à lui ! » Un bruit de tissus froissé le fit relever la tête alors que son regard clair et embué se posait sur Quincey. Il était là, dos à lui, étendu sur son lit. Ce même-lit qu'ils avaient partagé rien qu'un instant. Sa respiration devint douloureuse, brûlante. L'air semblait venir à manquer comme s'il espérait qu'il finirait par suffoquer. Jamais il n'avait tant regretté ses paroles, jamais il n'avait tant lutté contre ce qu'il voulait vraiment. Le rejoindre, lui demander pardon des dizaines de fois, des centaines, des milliers même s'il le fallait... Oublier ces derniers instants et reprendre là où ils s'étaient arrêtés. Son corps contre le sien, sa bouche sur la sienne. Sa gorge se noua alors qu'il attachait négligemment le cordon de son bas de pyjama, les yeux toujours rivés sur la silhouette de son ancien ami. Malgré son esprit qui lui hurlait à tout va qu'il avait fait le bon choix, qu'il n'y en avait pas d'autres possibles et que ces déviances n'étaient certainement pas les siennes – ça n'était pas parce qu'aucune fille ne trouvait grâce à ses yeux qu'il fallait se rabattre sur le premier mâle venu, il n'était pas désespéré à ce point – il le regrettait amèrement. La douceur et l'innocence qui avaient été à eux n'existaient plus. Le « nous » qu'ils avaient touché du bout du doigt l'espace d'un baiser s'était envolé en fumée... « C'est ça... » Ca n'était qu'un couinement pathétique rendu à moitié mort par le bruit de sa propre couverture qu'il bougeait. Il se glissa en-dessous machinalement, parce qu'il fallait bien finir par le faire un jour, et posa la tête sur son oreiller dans un soupir désespéré. La nuit allait être courte...

C’était un comble dans une école de sorcellerie mais Fursy avait quand même fait en sorte que la magie disparaisse en un claquement de doigt. Enfin, elle s’était envolée en une parole des plus déplacée. Il avait eu le don de tout détruire, de tout faire basculer pour le plus grand malheur de Thomas. C’était la première fois qu’il lui ouvrait son cœur, qu’il se laissait tout simplement aller. Il avait aimé ce moment, mais à présent, il le détestait tout simplement. Il n’aurait pas dû se laisser guider par l’instant du moment, par la sérénité et l’attirance qu’il avait pu ressentir en voyant son ex meilleur ami au-dessus de lui. Quincey aurait rêvé que tout ceci soit un cauchemar mais non, c’était bel et bien la réalité. Le poing qu’il avait fini par lui foutre dans la figure le lui avait d’ailleurs rappelé. Il était content de lui avoir montré son mécontentement de la sorte. Maintenant, il voulait tout oublier et tenter de dormir bien rapidement.

Pourquoi parlementer quand il sait qu’il va clairement se prendre un mur ? La preuve est là devant lui… Il avait pourtant presque réussi à retourner la situation, à faire en sorte que tout recommence comme avant ou avec encore plus de complicité et d’amour entre eux et finalement, il s’était bouffé un mur de pierre des plus durs et des plus agressifs. Cette fois-ci, c’était clairement terminé. Il ne se battrait plus pour ce connard de service qui ne faisait pas l’effort ne serait-ce un instant pour que tout puisse s’arranger. Finalement, cette dernière altercation venait d’être une révélation pour lui. Il ne devait plus rien attendre de cet enfoiré et vice-versa. Thomas ne chercha même pas à répliquer face à la dernière remarque de son ennemi. Il resta tourné, dos à lui et ferma les yeux. Il avait la rage, les nerfs et les larmes au creux des yeux. Mais il fit tout son possible pour ne pas les laisser couler. Il avait très mal dormi, repensant à cet enfer vécu en début de soirée. Il en a d’ailleurs fait des cauchemars.

En se levant le lendemain matin, il se rendit compte que son pire ennemi n’était pas présent dans le dortoir. Il en était ravi parce qu’il ne voulait pas croiser sa face de rat de la journée. Malgré tout, il savait pertinemment qu’il finirait par le voir en cour et qu’il devrait garder la face devant lui. Il n’avait envie que d’une chose, partir de ce château pour ne plus jamais le revoir. Il avait cogité à cette option toute la nuit. Finalement, il avait fini par se dire qu’il n’avait pas à se sacrifier pour ce connard et qu’il devait tout simplement rester ici pour suivre ses études. Après tout, il avait les épaules larges et une fierté qui ferait qu’il endurerait tout ceci avec force et détermination.