Encore et toujours, j'étais absolument en retard dans mon travail. Le Professeur McGonagall m'avait demandé de lui remettre un résumé du programme que je comptais suivre pour cette année, afin qu'elle puisse s'organiser à l'avance pour la mise en place des futurs examens. C'était déjà relativement aimable de sa part de me laisser monter mon programme comme l'envie me le dictait, et j'abusai encore de sa gentillesse en m'attelant à la tâche à la toute dernière minute. A Poudlard, les professeurs sont entièrement libre de mener leurs cours comme ils le désirent pourvu que les enfants aient acquis quelques connaissances supplémentaires à la toute fin. Aussi loin que je me souvienne, cela s'est toujours passé comme ça. A l'institut de Salem, bien que les conditions étaient relativement laxistes elles aussi, nous avions tout de même un programme imposé à respecter. Et même là-bas, j'arrivai à me retrouver en retard. Mais que voulez-vous ? J’ai toujours adoré travaillé dans l’urgence. Cela me rend plus productif et beaucoup plus efficace.

Mais je le reconnais, même si j’ai toujours été quelqu’un de studieux et très travailleur, rester assis face à une feuille pendant si longtemps me rendait nerveux. Je ne me sentais pas assez sollicité, et comme un adolescent de treize ans à qui on ordonne de réviser sa leçon, le moindre courant d’air soulevant mes rideaux devenait un phénomène absolument fascinant à contempler. Pourquoi n’avais-je pas encore investi dans une plume à papote ? Cela me permettrait de dicter la rédaction de mes travaux pendant que je ferai mon jogging, ou rangerai mes affaires, ou n’importe quoi d’autre que de rester les fesses vissées sur une chaise comme maintenant. Alors que j’avais totalement décroché après les cinq première lignes de rédaction, je remarquai sur mon bureau un morceau de papier qui n’était pas là la veille, et que je n’avais vraisemblablement pas encore consulté. Je ne pu m’empêcher de sourire à la lecture de son contenu. Je dois dire que la petite Chloé avait toujours su faire des entrées en matière fracassantes, et une fois encore, elle ne manquait pas à sa réputation. Je lus le message une seconde fois, avant de consulter mon calendrier. Je n'aurai jamais fini mon travail à temps si je me permettais de sortir ce samedi. Challenge accepted. Il ne me fallut pas plus de temps pour abandonner mon bureau et partir me préparer.

Le jour J, j'enfilai une chemise ainsi qu'une veste un peu épaisse. Il faut bien l'admettre, bien que je sois né ici, on ne s'habituait jamais vraiment au froid. J'abandonnai mon bureau et mon travail inachevé sans aucun regret et grâce au transplanage, me retrouvait sur le lieu du rendez-vous une demi-seconde plus tard. Je ne pus me retenir d'observer pendant quelques secondes la beauté du pont illuminé en pleine nuit. Comme quoi la magie n'était pas nécessairement à l'origine des plus belles choses de ce monde. Puis mon regard tomba sur la demoiselle qui m'avait donné rendez-vous. Lorsque je fus assuré qu'elle m'avait bien vu, je tapotai mon poignet pour désigner ma montre que je ne portais pas, et lança avec un sourire en coin : << J'espère que ça vaut le détour, les gens de mon âge sont déjà au lit avec une tisane à cette heure-ci ! >> Puis, toujours ce sourire amusé sur mon visage, je la pris dans mes bras pour la saluer. Cela me faisait vraiment plaisir de la voir. J'avais toujours eu beaucoup d'affection pour cette demoiselle qui même à treize ans sortait déjà des sentiers battus. Elle avait toujours eu ce petit quelque chose qui la rendait différente des gamines de sa classe. Il faut dire qu'avec une maman pareille, elle avait aussi de qui tirer ! Je posais ensuite mon regard dans le sien, et lui dis : << Tu as l'air en forme... >> Et pour ne pas dévier du ton léger qui s'était installé entre nous, j'ajoutai : << Pour une étudiante censée se nourrir exclusivement de plats instantanés ! >>

Je fis alors semblant de me recoiffer en passant ma main dans mes cheveux, et lui lança en prenant le ton d'une demoiselle un peu niaise << Je suis tellement désolé d'être arrivé en retard, mais j'ai passé un temps fou à lisser mes cheveux à cause de l'humidité et tout... >> Effectivement, dans mon éthique personnelle, ce n'était pas correct de faire attendre une jeune fille. Mais considérant la "jeune fille" en question, il était tout bonnement inconcevable pour moi d'excuser mon retard avec une simple formule de politesse.

Je sentais que ma présence lui faisait plaisir. Il était évident que j’étais aussi très heureux de pouvoir m’accorder un peu de temps en sa compagnie. Elle n’attendit pas plus longtemps pour placer une petite vanne concernant mon nouveau choix de carrière qui l’avait toujours fait rire depuis que je le lui avais annoncé. C’était loin d’être la seule à être sceptique quant à mon parcours dans la Divination, chose que je comprenais parfaitement. Ce n’est pas aisé de se faire accepter dans ce domaine lorsqu’on n’est ni un usurpateur, ni en possession du Troisième Oeil. Et je me souviens encore très bien de mes débuts difficiles à Poudlard, avec l’interprétation des dessins des feuilles de thé. Déjà, j’ai jamais vraiment aimé le thé - ironique pour un Anglais me direz-vous - mais de devoir m’en enfiler des tasses pour ensuite prétendre que l’amas de feuilles au fond du récipient représentait quelque chose qui révélerait mon avenir, ça ne m’a pas vraiment aidé. Heureusement, la tasséomancie (rien que le nom donne presque envie de vomir) n’était pas l’unique branche étudiable en Divination, et j’ai rapidement pu rattraper mon retard grâce à quelques ouvrages et une bonne dose d’entêtement d’acharnement.

J’eus un petit rire amusé devant une telle réponse, et je ne pus m’empêcher de lui dire : << J’avais proposé une séance d’ouverture de chakra pour ma classe, mais la Directrice a dit que la formulation était trop tendancieuse… Je comprends pas pourquoi. >> Ce n’était évidemment pas vrai, juste une blague un peu salace qu’il trouvait parfaite à caler ici. Chloé me rétorqua alors, suite à ma remarque cliché sur l’alimentation habituelle d’un étudiant, que sa colocataire était une cuisinière hors pair. Je levai les sourcils, l’air faussement dubitatif. << Oh, comme par hasard… Cette pauvre fille sait que tu l’exploites, ou…? >>

Je haussai à mon tour les épaule, prenant tant bien que mal une attitude modeste et pensive, et lui rétorqua : << Ah… Tu sais, il faut appeler un chat un chat. Il n’y a aucun risque à désigner la perfection lorsqu'on la voit passer... Ma tête va très bien, merci de t’en inquiéter. Par contre mes chevilles commencent parfois à se sentir un peu à l’étroit ! Mais ne t’en fais pas, ta personne est digne de sublimer ma précellence. Cela a plutôt l’air de te réussir d'ailleurs, la fac... Tu ressembles presque à une dame, maintenant ! >> Oui, c’était un compliment. Pas évident à discerner pour une tierce personne observant la scène, mais c’était bel et bien un compliment. Je lui emboîtai le pas et nous commençâmes à avancer tranquillement. Je la vis jeter un oeil à sa montre avant de me poser une nouvelle question. J’eus un petit rire étouffé. << Formidables, ça tu peux le dire ! Rédiger le programme scolaire pour l’année, préparer mes prochains cours… Je dis pas que c’est sans importance, mais j’estime que ce sont des choses qui peuvent largement être faites au dernier moment. La Directrice a insisté pour que je me mette à jour comme les autres professeurs mais… Passer un week-end entier derrière un bureau n’est pas l’activité qui me passionne le plus. Et puis on m’a proposé une soirée en ville en charmante compagnie... Je dois reconnaître que j’ai du mal à dire non à un joli minois. >> Je vis qu’elle me regardait et lui accorda un sourire.

Mon regard se posa alors sur la rue que nous venions d’atteindre. Nous avions traversé le pont et venions d’atterrir non loin d’un bar que je connaissais plutôt bien. J’indiquai à mon accompagnatrice de m’attendre quelques secondes, et revint vers elle un instant plus tard avec deux gobelets remplis de vin chaud. Je lui en tendis un tout en lui disant << Tiens, prends-donc ça, ça te réchauffera… Et puis ça te rappellera ton pays ! >> N’ai-je pas pu m’empêcher d’ajouter avec un clin d’oeil sarcastique.