Le soleil s’éteignait doucement, se tapissant de minute en minute derrière les arbres qui formaient une forêt dense et lointaine, où personne encore ne s’était aventuré. Les limites de la ferme avaient été clairement définis par la magie et il fallait être plus que téméraire pour vouloir les contourner. A plusieurs reprises, les plus curieux d’entre les adolescents avaient été tentés d’aller au-delà de la zone autorisée ; Louna en était le parfait exemple. Toutefois, elle, qui n’avait même pas passé ses BUSE, avait vu sa magie se révéler être totalement inutile face à de telles protections. Par conséquent, elle avait abandonné l’idée de braver les interdits, bien qu’à contrecoeur. Elle se contentait d’observer les fins et grands arbres au loin qui lui faisaient de l’œil, tandis qu’elle s’asseyait sur un petit rocher qui creusait la terre mouillée au bord du Lac. Derrière elle, un petit escalier fait de pierres permettait de remonter jusqu’à l’herbe, sur laquelle elle y avait déposé ses tongues. A côté d’elle, un verre rempli d’un cocktail non-alcoolisé se tenait droit sur un rocher plus petit, à côté duquel quelques cupcakes avaient fièrement été posés sur un petit plateau en bronze. La fin des vacances approchait et dans moins d’une semaine, tous les élèves devraient faire leurs adieux à ces généreux fermiers qui avaient bien voulu les loger. Louna avait apprécié son petit séjour d’un mois en la compagnie de ses amis et elle avait appris à faire connaissance avec d’autres personnes qu’elle ne connaissait, jusqu’alors, que de vue. En premier lieu, il y avait Catherine qui s’était toujours montrée joyeuse et Chleofee qui n’était plus seulement une simple source d’informations au sujet de Chloé, mais également une fille susceptible de devenir une bonne amie.

D’ailleurs, en parlant de Chloé, voir celle-ci tous les jours sans pouvoir lui parler ou lui adresser un regard sans éveiller de soupçons s’était révélé être une tâche assez difficile. Depuis que Chleofee avait accepté de répondre à ses questions, Louna avait cru que cela l’aiderait à mieux se lancer ; la vérité devait éclater et même la Poufsouffle avait été mise au courant de cette réalité. La Serpentard aurait pourtant bien voulu ne faire aucune concession, mais la française ne lui aurait apporté aucune réponse si elle ne souhaitait pas assouvir la curiosité de la septième année. Il arrivait parfois que Louna en vienne à se demander si elle avait fait le bon choix. Avait-elle eu raison d’avoir confiance en Chleofee en lui livrant ce qui la tracassait depuis quelques mois ? Pouvait-elle être sûre qu’elle ne dirait absolument rien à personne avant que cette affaire ne soit vraiment réglée ? Elle osait croire que oui, elle osait croire en les qualités de cette fille qui appartenait à une maison fiable et honnête en matière de loyauté et d’équité. En tout cas, elle s’en voulait tout de même de ne pas avoir mis au courant Anoushka et Nathaniel, ses meilleurs amis, de son petit souci personnel. Elle se doutait bien que lorsqu’ils connaîtraient toute l’histoire, ils ne manqueraient pas de la gronder pour son silence impardonnable. A la pensée d’une Anoushka en colère et aussi rouge qu’un piment, la jeune fille ne put réprimer un petit rire sonore. Les élèves aux alentours devaient certainement penser qu’elle était folle, mais elle s’en fichait éperdument.

Ce ne fut que lorsqu’elle entreprit de siroter un peu de son cocktail à la pamplemousse qu’une série d’événements vint à attirer son œil ailleurs que sur le soleil couchant. Un plouf sonore lui fit tourner la tête vers l’autre bout du lac, où quelques élèves s’amusaient à faire le concours du meilleur plongeon. Si leurs éclats de rire avaient de quoi faire vibrer les tympans de n’importe qui à proximité, ce ne fut pas cela qui stoppa directement la beuverie de Louna. Non loin d’un arbre, en train d’observer les fameuses personnes qui avaient plongé, elle se tenait-là, la joie et la bonne humeur pouvant se lire sur son faciès même à cette distance. Chloé semblait être en pleine conversation avec une autre fille de la ferme que Louna ne fréquentait pas. Le cœur de la Serpentard se mit à battre un peu plus rapidement, faisant naître chez elle un petit dilemme qui la rendit soudainement moins zen et plus nerveuse. Dans quelques jours, elle ne verrait plus sa demi-sœur et Poudlard n’était plus qu’un souvenir pour cette élève qui avait obtenu ses ASPIC. Que devait-elle faire ? Elle fut largement tentée d’aller la voir pour lui dire tout ce qu’elle avait découvert, mais elle était également partagée par le fait que cette affaire était tellement folle que la jolie brune risquait de ne pas vouloir la croire. Cependant, elle avait le soutien de Chleofee, et ce n’était pas une main secourable négligeable.
Bien que partagée entre une envie de réfléchir avant et celle de foncer de manière intrépide, la jeune Brenner finit par trancher et choisir la voie qui lui paraissait être la plus naturelle : la voie qui lui ressemblait le plus. Sans attendre, elle se releva promptement, la nervosité luttant ardemment contre sa forte détermination. Si elle continuait d’attendre encore et encore et de repousser l’échéance sans cesse, jamais elle n’obtiendrait ce qu’elle désirait.
- Qui ne tente rien n’a rien… Allez, on se lance, Louna ! pensa-t-elle, apportant son aide à sa propre volonté.
Aussi rapide qu’un lièvre, elle remonta le petit escalier de pierre, son cocktail en main, pour retrouver le contact doux de l’herbe. Elle se hâta de rentrer ses pieds dans ses tongues et elle souffla un bon coup avant d’entreprendre une marche rapide et décidée vers sa proie. Lorsqu’elle traversa plus de la moitié de son trajet, elle ralentit le pas, consciente que cela pourrait attirer la curiosité des regards indiscrets. Trois minutes plus tard, elle finit par atteindre le bosquet d’arbres devant lequel sa demi-sœur se tenait toujours avec son amie. Les garçons avaient cette fois-ci décidé de faire un concours de longueurs, ce qui allait en la faveur de Louna qui désirait parler à Chloé en privé. Il ne serait pas bien difficile d’éloigner l’autre fille, il suffirait de trouver une petite excuse subtile. Le mensonge n’était pas dans les habitudes de notre héroïne qui détestait par-dessus tout le manque de franchise, mais elle devait reconnaître que le talent d’Aniek pouvait se montrer utile pour obtenir ce que l’on voulait – tant que les intentions n’étaient pas mauvaises -.
Une fois qu’elle fut à la hauteur de Chloé, Louna fit de son possible pour paraître la plus naturelle, la plus zen possible. Au fond d’elle, elle bouillonnait d’un mélange d’émotions qu’elle ne parvenait pas à décrire, elle-même étant troublée par l’action qu’elle venait d’entreprendre. Jamais elle n’avait vu cette fille d’aussi près et elle devait avouer qu’elle était bel et bien aussi jolie de près que de loin. Durant un instant, elle crut s’attarder un peu trop sur ce visage ; c’était comme si elle recherchait une ressemblance physique entre elle et son propre visage. Elles n’avaient peut-être pas la même mère, mais elles avaient quelques gênes en commun tout de même.
- Salut Chloé ! Excuse-moi de te déranger, mais il faudrait que je te parle.
Une fois lancée, elle ne put guère reculer et elle s’étonna du ton assuré qu’elle était parvenue à prendre. Face au regard douteux de l’autre fille qui parlait à la Roxen, Louna lui fit son plus beau sourire.
- Ne t’en fais pas, je reviendrai vers toi aussi un peu plus tard. C’est… au sujet du séjour dans cette ferme. Oui, heu… en fait, je souhaite faire un petit sondage en privé avec chacun des élèves ici présents. J'organise ça avec Anoushka. Heu… cela ne te dérange pas ? fit-elle en se tournant de nouveau vers sa cible première.
Bon, dès ce soir, elle proposerait à Anoushka de confirmer sa version des faits de manière assez rusée pour qu'elle ne puisse pas lui demander des explications. Sur le coup, elle se haïssait presque de devoir lui mentir, mais elle n'avait pas le choix pour le moment.

Bien que plutôt à l’aise en apparence, Louna restait un peu tendue lorsqu’elle se retrouva face à Chloé. Elle espérait vivement que cette dernière ne se pose aucune question au sujet de ce fameux sondage et qu’elle daigne vraiment à la suivre seule. Il était vrai qu’elle aurait pu réfléchir à une approche plus intelligente, mais parfois, l’improvisation n’était pas un art si évident à maitriser. Quoi qu’il en soit, son sourire ne fut que plus grand lorsque sa demi-sœur accepta de venir lui parler. Elle se leva avec la même vivacité employée plus tôt par la Serpentard quand elle avait pris sa décision et haussa les épaules à son amie. Puis, Louna pensa à un endroit dans lequel elles pourraient être tranquilles et qui les éloignerait des autres élèves. Elle ne souhaitait pas que quelqu’un d’autre puisse entendre ces révélations personnelles, d’autant plus qu’il serait déjà bien assez difficile d’en parler à la concernée, alors il n’y avait pas besoin d’oreilles indiscrètes supplémentaires.

En premier lieu, la cinquième année put être témoin du caractère plutôt joyeux de Chloé, qui sortait des bêtises qui étaient dignes de décrocher un rire chez Louna. Au moins, elle ne manquait pas d’humeur et son attitude plutôt positive pouvait se sentir. Ce genre de personne était très agréable, selon elle, puisqu’on pouvait se lâcher, être décontracté et oublier un peu le sérieux de la vie. Au fond, c’était sans doute ce qu’elle attendait d’une fille appartenant à sa famille. Elle ne connaissait que Chloé qu’à travers les dires de ses connaissances et quand bien même personne ne l’avait critiquée devant elle, Louna aimait se faire sa propre idée d’un individu qu’elle rencontrait. En tout cas, elle ne fut pas contre l’idée de rentrer dans son jeu ; celui lui permettrait sûrement de faire connaissance avec la française.
- Une entourloupe ? Voyons, ce n’est pas le genre de la maison. Quoi qu’avec certaines personnes, je ne dirais pas non ! Mais ne t’inquiète pas, je ne te tuerai pas… du moins, pas aujourd’hui, dit-elle malicieusement sur le même ton de plaisanterie que son interlocutrice.
Elle ne saurait dire pourquoi, mais la Serpentard se sentait bien plus à l’aise depuis quelques secondes. Les paroles joyeuses de Chloé avaient eu le don de la détendre un peu, de lui apporter une sorte de vague d’apaisement. C’était sans doute parce qu’il était beaucoup plus simple d’aborder un élève ayant le sens de l’humour, plutôt qu’un élève qui n’en possédait pas. Cependant, c’était à double-tranchant, puisqu’il n’était pas non plus si simple que cela de briser une ambiance joviale par une annonce très sérieuse.
- Ceci dit, je demande à voir pour le fait que tu sois vraiment la meilleure partout ! poursuivit-elle sur un air de défi, lui faisant croire qu’elle avait des doutes.
La jeune Brenner attendit que l’ancienne Serdaigle ne fasse ses salutations à son amie au nom de Diggory, puis elle l’écouta de nouveau. Apparemment, elle n’était pas si loin que cela d’ignorer qui elle était et Louna en fut bien surprise. Certes, elle ne s’appelait pas « Léna », mais les lettres principales étaient là. Elle se demandait bien comment cela était possible et elle espérait tout simplement que ce nom avait été bêtement prononcé par un membre de la ferme et qu’il avait été entendu par Chloé par un mystérieux hasard. Notre héroïne ne pensait pas qu’elle puisse le connaître d’une toute autre manière et encore moins qu’elle sache quoi que ce soit au sujet de leur véritable relation. Sans être le moins du monde vexé, elle rectifia son erreur :
- C’est Louna. Mais bien essayé quand même ! répondit-elle en conservant son enthousiasme. Tu devrais le retenir, car peut-être que tu entendras encore parler de moi un jour, ajouta-t-elle toujours aussi enjouée.
Derrière cette allusion se cachait vraiment l’idée qu’elles allaient se revoir. Néanmoins, Chloé l’ignorait pour le moment et cette même phrase était plus ou moins celle qui amorcerait la déclaration de Louna. Le temps des belles paroles remplies de bonne humeur était désormais révolu et cette transition parut subitement plus difficile à accepter. Son stress avait été rapidement évincé lorsque son aînée avait ouvert la bouche, mais désormais, son sourire s’effaça presque aussi promptement, alors que les pensées de la petite cherchaient la solution à ses problèmes.
Pendant quelques petites minutes, elles marchèrent ensemble jusqu’à trouver un coin vide près du lac. Les garçons exécutaient toujours leurs longueurs, mais ils étaient bien trop occupés par leurs activités pour remarquer leur présence. Notre vipère nationale profita de ce moment propice pour se lancer :
- Bon… Je ne sais pas si je t’ai convaincue que j’allais réellement t’interviewer sur ce voyage à la ferme, mais ce n’est pas de ça que je veux te parler. Et puis, mon amie Anoushka se ficherait éperdument de ce que pensent les autres de ce voyage. Elle-même préférerait être ailleurs. Enfin bref, ce que je veux te dire… c’est assez compliqué, et moi-même j’ai eu du mal à le croire au début…
Elle déglutit ardemment, cherchant les bons mots à employer. D’habitude, elle ne faisait pas attention aux termes qu’elle employait lorsqu’elle s’exprimait ; elle ne ressentait ni gêne, ni honte quand elle parlait à n’importe qui. Cette fois-ci, les choses étaient différentes et elle eut l’impression de ne pas être si naturelle qu’elle aurait voulu l’être.
- Je te demande juste de m’écouter jusqu’au bout et de ne pas me traiter de tarée. Je ne suis pas là pour te faire un sale coup, et je n’aurais, de toute manière, aucun intérêt à le faire car je… enfin, on ne se connait pas… enfin, pas vraiment.
Bien que lancée sur cette bonne voie, Louna ne se doutait pas que quelque chose viendrait compromettre ses plans.

Les choses sérieuses allaient commencer et Louna ne semblait pas apprécier l’idée de mettre un terme à l’humeur enjouée de Chloé. Elle put d’ailleurs se faire une idée de quelle serait sa réaction, rien qu’avec ses premières répliques peu rassurantes. Son aînée craignait qu’elle ne fasse une sottise et elle ne souhaitait pas être sa complice, ajoutant qu’elle avait subi assez de drames pour le moment. La Serpentard hocha négativement la tête, confirmant qu’elle n’avait pas de mauvais tours en tête. Puis, elle arqua légèrement un sourcil, se demandant de quoi parlait-elle en terme de « drames ». Puis, son cerveau se rappela vivement des derniers événements lugubres qu’avait connu quelques élèves de Poudlard, lors de leur sortie à Pré-au-Lard, qui était censée les avoir amusés durant différentes tournées de manèges. Elle s’en souvint comme si c’était hier, de cette fameuse liste d’inscription qu’elle avait vu trôner dans sa salle commune. Elle y avait inscrit son nom, mais malheureusement, le mal la frappa avant même qu’elle n’ait pu sortir du château. Lors d’une énième dispute avec une fille qu’elle ne supportait pas, Louna avait reçu de plein fouet un sortilège qui l’avait mise hors combat en la projetant lourdement contre un mur. Elle avait, au passage, renversé une armure avant de retomber sur sa surface de fer.
En fin de compte, l’infirmière avait jugé sage de la garder auprès d’elle pendant quelques jours, le temps que son dos et sa nuque ne s’en remettent sans complications. Par conséquent, elle n’avait guère pu assister à cette fameuse sortie dans le parc d’attraction, manquant de justesse les affreux événements qui s’y étaient produits. Peut-être que Chloé avait connu l’une des personnes qui y avaient connu la mort ? Dans ce cas, effectivement, cela se comprenait qu’elle puisse ne plus vouloir être mêlée à quoi que ce soit d’aussi dramatique. Mais elle n’échapperait pas pour autant à cette révélation stupéfiante, quand bien même on pouvait tout aussi trouver cela dramatique que d’ignorer, jusqu’alors, l’existence d’une demi-sœur « cachée ». Quoi qu’il en soit, l’ancienne élève de Poudlard parut subitement plus sceptique, son sourire s’évanouissant tristement. Elle ne changea cependant pas le ton de sa voix, se montrant toutefois surprise quand même. Malheureusement, sa réplique trahissait les émotions qu’elle tentait peut-être de cacher, et Louna paraissait y lire un peu de crainte. L’idée que Chloé puisse la prendre pour une psychopathe et une stalker en puissance la faisait légèrement rire en son for intérieur, et en y réfléchissant un peu plus, elle s’était suffisamment comportée de manière étrange en la tirant vers l’isolement pour que cet acte ne paraisse suspect. Conservant son air sérieux, la cinquième année répondit tout simplement :
- Non, on ne se connait pas. Mais les circonstances font…
Elle n’eut pas le temps de poursuivre, coupée par une Chloé devenue un peu plus méfiante et qui s’exprimait de plus en plus vite selon les oreilles de Louna. C’était comme si elle appréhendait quelque chose, alors que pour l’heure, l’annonce n’avait pas été faite. Néanmoins, d’une part, elle avait tout de même raison de lui faire part du fait qu’être traînée ailleurs par une inconnue n’avait rien de bien rassurant. Louna savait qu’elle aurait pu s’y prendre d’une autre manière, mais sa décision avait été faite sur un coup de tête et elle n’était pas du genre à revenir sur ses choix. Elle devrait faire avec et affronter la vérité ici même.
- Je sais bien que c’est louche, mais j’ai pas besoin d’un public - mis à part toi - pour dire ce que j’ai à dire, donc je n’avais pas d’autre choix. Et je n’ai rien surpris à propos de la ferme et je ne vois pas pourquoi je serais venue t’en parler à toi si j’avais vu quelque chose de louche qui ne te concerne pas, rajouta la vipère sur un ton plus ferme et un peu agacé.
Ce n’était pas sa demi-sœur qui l’énervait, mais plutôt l’accumulation de ces informations, son dur labeur pour avoir fait parler Chleofee, l’idée même de devoir tout avouer à Chloé sans paraître détraquée, et le temps qu’elle perdait si la future étudiante continuait à se méfier et à ne pas être ouverte à ses paroles. Et en vérité, elle craignait que la suite ne soit la pire et que son interlocutrice ne se contente de ne pas la croire en vociférant des insultes à son égard, avant de repartir à proximité de cette fille au nom de Diggory. Jusqu’alors, elle n’avait pas pris la situation avec tant de sérieux, se contentant de jouer aux détectives. Cependant, se retrouver face au cœur de l’affaire dès aujourd’hui s’avérait bien plus sérieux que tout ce qu’elle avait fait jusqu’alors. Elle tentait de garder son sang-froid, quand bien même elle avait l’impression que des émotions fortes la submergeaient, comme la colère par exemple. Elle ne savait pas d’où cela venait, peut-être de sa haine envers son père ? Voir le visage de cette Chloé d’aussi près suscitait en elle bien de mauvais souvenirs. Heureusement, elle put contrôler ces ondes négatives lorsque la française lui donna le feu vert. Alors, elle prit son inspiration et ouvrit de nouveau la bouche.
- J’ai découvert quelque chose d’intéressant vers la fin de l’année scolaire, un jour avant la rentrée des vacances de Pâques. J’étais dans le bureau de mon père et…
Un tremblement fit vibrer leurs pieds, alors qu’elles étaient assises chacune sur un rocher, l’une face à l’autre. Des bruits synchro et réguliers se faisaient entendre, comme des bruits de pas provenant d’hommes munis de lourdes chaussures de fer. Louna s’interrompit, se demandant quelle étrangeté allait encore frapper. Elle leva légèrement le cou, observant la scène derrière Chloé qui la fit écarquiller les yeux de surprise.
- Dégage, Chloé ! s’exclama-t-elle dans la précipitation, repoussant la jolie brune sur le côté d’un mouvement brusque du bras.
Laissant tomber son verre de cocktail, elle roula à son tour près du bord du lac, non loin de sa demi-sœur qui devait sans doute se demander ce qui venait de lui prendre que de la faire tomber de son rocher. Le cœur battant, la Serpentard se soucia avant tout de cette dizaine de chevaux qui venaient de galoper à toute allure vers l’endroit où elles étaient assises, il y a quelques secondes. Ces animaux avaient sûrement trouvé le moyen de s’évader de leur box respectif et pour une raison mystérieusement, ils semblaient furieux et plus agressifs que jamais. Ils s’étaient arrêtés aux limites de la ferme, le regard colérique rivé vers les deux jeunes filles sans défense. Deux d’entre eux frottèrent le sol de leur patte avant, préparant certainement une nouvelle charge.
- Qu’est-ce qu’il leur prend ?! Je ne les ai jamais vus comme ça, dit Louna, abasourdie, en se relevant avec le coude droit recouvert de terre.
Voyant que la situation ne jouait pas en leur faveur, elle chercha machinalement sa baguette magique sur elle, avant de constater qu’elle l’avait laissée dans sa chambre. Elle soupira, se haïssant d’avoir oublié sa principale arme.

Louna se demandait vraiment si le cours des choses souhaitait vraiment aller à l’encontre de ses choix. C’était comme si on l’avait délibérément empêchée de parler à Chloé, comme pour la prévenir que ce n’était certainement pas le bon moment. Mais quand le serait-il ? Elle s’était résolue à tout lui révéler, elle avait chassé ses appréhensions et s’était lancée avec une certaine détermination qui lui avait toujours été fidèle. Ce n’était pas le moment de gâcher cet instant où la vérité allait enfin éclaircir les voiles qui, jusqu’alors, les avait plongées dans l’ignorance depuis le début de leur existence. Observant encore les chevaux à proximité qui semblaient les menacer de les écraser, Louna approuva les paroles de Chloé, pensant sûrement qu’il s’agissait d’une erreur de l’équipe chargée de garder les animaux. Au départ, elle songea que leur box respectif avait dû être mal fermé, mais en vue de la fureur ressentie par ces bêtes, il devait s’agir d’autre chose. Peut-être qu’ils avaient été menacés ou qu’ils avaient eu peur de quelque chose…
Mais le pire de l’histoire, c’était que ni l’une, ni l’autre n’avait sa baguette. Le cœur de la Serpentard augmenta sa fréquence cardiaque, ses nerfs étant plus à vif que jamais. Elle dut faire appel à son self control pour rétablir l’équilibre dans son esprit et chasser ces idées de frayeur qui la traversaient. Elle se répéta deux fois dans sa tête qu’elle n’avait pas peur, avant de prendre un air déterminé.
- Dès que je les retrouve, je les tue , fit-elle en parlant des élèves fautifs en question. Moi non plus, j’ai pas ma baguette. Je crois qu’on va devoir faire sans !
Elle se laissa tirer par sa demi-sœur, qui l’entraîna dans l’eau au moment même où les chevaux avaient pris la décision de les charger de nouveau. Pourquoi avaient-ils fallu qu’ils ne prennent ce chemin pour galoper ? Louna n’y connaissait pas grand-chose aux chevaux, même si elle les adorait. Elle n’avait jamais monté sur l’un d’eux, et ne s’en était jamais occupée. Elle fut ravie de constater que leur nage dans le Lac leur avait permis d’échapper à cette salve d’agressivité. La tête sous l’eau tout en nageant, la verte et argent ne se sentit pas à l’aise avec ses propres vêtements qui lui collaient la peau. Elle ne voyait absolument rien dans les profondeurs de ce lac, et elle espérait qu’il n’y ait aucune créature dangereuse à cet endroit, sinon, elles seraient au fond du gouffre. Après avoir bu une tasse d’eau involontairement, la verte et argent sortit de l’eau en toussant un peu et entendit Chloé lui proposer d’aller prévenir quelqu’un, bien que tout le monde traînait dans le coin. Mieux valait qu’ils ne deviennent pas les prochaines cibles de ces chevaux enragés.
- Non, on a pas le temps de prévenir qui que ce soit, c’est trop loin ! lança-t-elle en reprenant son souffle, dégageant une mèche de ses cheveux trempés venue se coller à son œil droit. Et le temps d’arriver à l’autre bout de la rive, qui sait ce qu’ils feront aux autres...
Elle observa attentivement les animaux tout en haïssant les responsables de cette fuite. Ses jambes s’activaient pour qu’elle puise flotter à la surface, et elle détourna le regard en scrutant les alentours. Les garçons qui faisaient un concours de plongeon continuaient toujours de nager dans l’insouciance, mais au moins, ils étaient assez loin des chevaux.
- Ecoute, j’ai une très mauvaise idée, poursuivit-elle en portant de nouveau ses yeux vers les chevaux.
Louna, ou la reine des mésaventures, venait de faire germer une suggestion folle digne de son imagination. Une idée tellement douteuse que même ses meilleurs amis ne s’y engageraient sûrement pas.
- On va se débrouiller et on va les calmer ensemble ! Viens ! déclara-t-elle en nageant de nouveau en retournant sur la rive où elles étaient il y a quelques minutes. A dix contre deux, ça ne devrait pas être bien difficile.
Sa dernière phrase avait tout d’une sale plaisanterie, et elle le savait bien. La Serpentard ne lui avait pas dit qu’elle ne s’y connaissait pas en chevaux, mais elle s’en fichait. Elle avait pris la décision de foncer sans se soucier des conséquences, et elle espérait que la suite des choses lui serait favorable. Ne craignant rien, elle s’avança dans cette eau tiède avec une ferveur qui lui était familière, sans jamais se retourner, ni même exprimer le moindre soupçon de peur sur son visage. Les révélations qu’elle avait tentées de faire à Chloé étaient désormais lointaines et elle ne pensait plus qu’à sortir de ce pétrin.
- Si seulement tu pouvais transplaner ici, Adelina... murmura-t-elle entre ses dents, sans être certaine que Chloé ne puisse réellement pas l’entendre.
La cinquième année souhaitait entamer une carrière en Soin aux Créatures Magiques, alors elle calma ses derniers doutes en considérant cette épreuve comme une première expérience en la matière. En cours, elle avait déjà dû être contrainte de calmer des bêtes tout à fait bizarres, alors des animaux aussi ordinaires que ceux de la ferme ne devraient sans doute pas poser plus de problèmes. Bon, il y avait évidemment ce problème de taille, puisque plus c'était grand, et plus il était moins facile de les maîtriser. Malgré ce fait, elle resta confiante et elle s'approcha de la rive que les chevaux longeaient en troupeau sans jamais éteindre leur colère.

L’air décidé, Louna s’était avancée sans obéir aux contestations de Chloé qui lui demandait de réfléchir avant d’agir, mais ce genre de conseil ne fonctionnait pas sur une fille aussi bornée qu’elle. Elle savait qu’il n’était pas raisonnable de prendre une décision sur un coup de tête, mais parfois, cela pouvait porter ses fruits. Dans le monde, il fallait bien prendre des risques pour aller de l’avant et rester en retrait en s’appuyant sur une aide extérieure n’était pas typique du comportement de la Serpentard.
- Ca va aller, t’inquiète ! s’était-elle contentée de dire pour la rassurer. C’est que des chevaux, c’est pas des trolls !
En réalité, elle espérait vivement que cela ne soit pas aussi difficile à maîtriser que des trolls. Tout en continuant de nager, elle les scruta un par un pour déterminer lesquels étaient les plus agressifs et lesquels se tenaient à l’arrière. Dans l’idéal, il faudrait que chacune des deux puissent calmer cinq chevaux, mais il serait presque impossible de les diviser en deux groupes de cinq. Alors qu’elle semblait regretter l’absence d’Adelina, Chloé paraissait l’avoir entendue murmurer et elle lui fit part de ses doutes sur un ton rageur qui n’énerva même pas Louna, qui répondit simplement :
- Laisse, je pensais à une amie.
Inutile de blablater inutilement sur la vendeuse de la Ménagerie Magique, puisque Chloé ne la connaissait peut-être même pas. Les deux sœurs poursuivirent le restant du trajet en usant la force de leurs bras ainsi que de leurs jambes, avant d’atteindre la terre boueuse. La sensation désagréable des vêtements collant sur l’épiderme fut bien plus énervante à supporter, et on avait également l’impression de peser bien plus lourd que lorsque l’on était séché. Par elle ne savait quel miracle, la jeune fille était parvenue à conserver ses tongues, même en nageant dans de hautes profondeurs. Elle fit quelques mètres en avant, trempée de la tête aux pieds à côté de Chloé qui l’aidait à avancer. Louna la remercia avant de reprendre son équilibre et de constater que les équidés venaient à nouveau de se tourner vers elles. Conserver son calme dans ces instants où une seconde était aussi précieuse qu’imprévisible ne rendait pas la cinquième année aussi zen qu’elle ne l’était il y a quelques temps. Son cœur se mit de nouveau à battre rapidement, quand bien même elle chassait de nouveau la fourbe appréhension qui s’installait en elle, en quête de semer la zizanie parmi ses nerfs. Il ne fallait surtout pas que les chevaux puissent ressentir la moindre peur en elles, sinon, elles n’arriveraient à rien. Comme venait de le dire Chloé, ils étaient prêts à se défendre en cas de mouvement suspect. Elle ne cacha pas non plus son agacement en lui faisant clairement comprendre qu’elle n’était pas d’accord avec ce que Louna avait décidé d’entreprendre. Elle n’avait pas tort, en même temps : se faire entraîner dans quelque chose sans avoir le droit de se faire entendre n’était pas très respectueux.
- Ma formidable idée va sûrement nous économiser du temps et permettre d’éviter qu’ils ne fassent des conneries , répondit-elle en ne cachant pas sa contrariété.
Néanmoins, ce n’était pas le moment propice de s’énerver, alors elle se reprit bien vite :
- Bon, allons-y.
Au même rythme que son aînée, la verte et argent s’avança lentement vers la meute, sans ciller des yeux, ni faire de gestes brusques qui pourraient les alerter. Parmi eux, il y avait un Palomino particulièrement agité et qui paraissait ne pas tenir en place. Ce fut lui qui attira son attention et elle décida de le calmer avant les autres. Malheureusement, elle n’avait jamais fait ce genre d’interventions et elle se fia donc à son instinct :
- Doucement, mon petit gars, dit-elle tendrement en s’approchant pas à pas de lui. On ne veut pas te faire de mal, nous. Il s’est passé quelque chose de bizarre dans votre enclos ?
Elle ne s’attendait absolument pas à une réponse à sa question, mais le fait de simplement parler tout doucement la laissait penser que l’animal serait de moins en moins nerveux. Ce ne fut néanmoins pas une tâche aisée, et elle sentit rapidement l’inexpérience lui porter préjudice. Le Palomino hennit avec mauvaise foi, toujours aussi agacé et entêté. Louna fit quelques pas en arrière, par précaution.
- Ok, ok ! Je recule. Tu vois, je ne veux pas te blesser.
La situation n’était pas favorable aux filles, et les autres équidés ne daignaient pas encore à vouloir se calmer eux aussi. La jeune élève songea donc qu’un peu de nourriture devrait les aider à se ressaisir, mais elle n’avait rien sur elle, puisqu’elle avait déjà mangé ses cupcakes. Elle se tourna alors vers Chloé, et lui posa une question sur un air détendu, comme si elle n'était pas coupable de cette problématique :
- Dis-moi. Tu t’y connais en chevaux ?
C'était une réplique qui pouvait rendre sa soeur furieuse, mais Louna paraissait ne pas le croire. Elle se contenta de l'observer du coin de l'oeil, espérant qu'elle puisse l'aider à trouver une solution au problème. Réfléchir avant d'agir... ce n'était pas si bête comme morale, et la jeune sang-mêlé ne tarda pas à reconnaître que cette fois-ci (et comme toujours), elle aurait dû éviter de foncer tête baissée.