Je fronce les sourcils à mon plateau de jeu. Alastair est sur le point de couler ma trirème et j’ai gâché plus de coups que nécessaire sur sa conque subaquatique monoplace. Sans compter son attaque chanceuse sur mon canot de sauvetage et mon quadrillage raté. En clair, je suis en train de perdre. Ce qui est plutôt triste étant donné que je faisais une bonne remontée sur les dernières parties. A ce point du jeu, il me faudrait débusquer et couler son frêle esquif dans les cinq prochains tours pour pouvoir espérer rééquilibrer l’occupation des eaux.

Je me mâchouille la lèvre dans un tic dont on n’a jamais réussi à me débarrasser en envisageant les conséquences de mes coups possibles, un œil attentif au sablier limitant mon temps de réflexion. Et, comme à chaque fois que mes pensées sont occupées à quelque chose, mes paroles sont libres de prendre leur envol.

« J’ai fait un rêve dingue la nuit dernière. Une horde de boursouflets passés du côté obscur de la force essayaient de me voler ma baguette et de manger mes livres de cours. Et pour une raison étrange, je défendais mes livres de cours à coups de tatane et mon frère essayait de les appâter avec des parts de lasagne… »

Je m’interromps dans mon récit en voyant le sable dangereusement bas. Plus le temps de tergiverser, il faut que je frappe.

« Coup en K4.2, » j’annonce, clair et intelligible.

Une explosion me répond et les eaux de la zone touchée changent de couleur. Je lève le poing avec un « aye ! » de victoire. Je ne sais pas encore ce quel bâtiment j’ai atteint, mais au moins j’ai fait mouche. Dans ma situation désastreuse actuelle, je ne peux pas demander mieux.

Je fixe mon regard mutin sur Alastair, le défiant d’achever ma trirème au risque de laisser mes derniers bâtiments en état lui filer entre les doigts. Nous jouons à la bataille navale version sorcier – bien plus excitante que sa cousine moldue – depuis des heures, mais je ne m’en lasse pas. Surtout que, jusque là, l’après-midi avait été fructueuse avec trois victoires à mon compte. Peut-être que ma chance est solaire ? Maintenant que l’astre du jour décroît gentiment vers l’horizon, elle s’efface au même rythme ? Triste, j’aimerais bien jouer toute la soirée. Nous commençons même à avoir un peu d’air frais ! – je n’ai aucun regret d’avoir insisté pour descendre le plateau de jeu sur la terrasse, même si l’exercice a été une sacrée paire de manche -