Le temps était plutôt clément, aujourd'hui. Jagger avait été surprise de voir qu'un grand ciel bleu s'étendait à perte de vue, en se levant. Aucun nuage ne venait gâcher le tableau. Appuyée à la fenêtre de sa chambre, tandis que Lalie et Mbali se réveillait (difficilement), la Poufsouffle regarda longuement le magnifique paysage. Leur chambre donnait sur de vertes prairies et quelques troupeaux. Au loin, on pouvait apercevoir l'orée d'un bois. La jeune femme, qui aimait beaucoup observer la nature, trouvait ce tableau réellement magnifique. Elle sortit son iPhone et prit une photo, histoire de capturer ce moment. Si cet endroit perdu et pour le moins rustique avait une qualité, c'était la beauté, l'authenticité du lieu. Les prés étaient parsemés de jonquilles et de diverses fleurs ; les champs de colza et de blés ajoutaient un peu de jaune parmi tout ce vert criard. Bref, c'était magnifique, et Jagger serait bien restée à observer cela plus longtemps. Mais il fallait qu'elle aille déjeuner et se rendre aux diverses activités de la journée. Elle songea que certaines personnes avaient dû s'inscrire ici en pensant que ce voyage serait tranquille. Ces pauvres gens devaient être bien déçus. En effet, la vie à la ferme était loin d'être de tout repos. Les corvées étaient beaucoup plus fatigantes qu'ils n'y paraissaient, et la vie en communauté l'était tout autant. Il fallait sans cesse se battre pour avoir une place convenable à la table, hurler dans l'oreille de son voisin pour se faire entendre par-dessus le brouhaha, faire la queue pour se servir à manger (ou se jeter dessus comme une brute, au choix)… La vaisselle et le rangement posaient également problème. Chacun voulait y dérober, et c'était généralement les mêmes personnes qui se retrouvaient à nettoyer derrière les autres, histoire de ne pas se faire tuer par le fermier. Jagger nettoyait et rangeait derrière elle, mais il était hors de question qu'elle le fasse pour les autres. Aussi prenait-elle la poudre d'escampette dès qu'elle avait fini.

La jeune Poufsouffle s'habilla rapidement —un vieux jean et une chemise confortable, ainsi qu'une paire de converse. Elle se brossa les dents, coiffa ses cheveux châtains, se passa un coup d'eau sur le visage et descendit quatre à quatre les marches qui menaient vers la salle à manger/cuisine. Puis, elle se rendit à sa corvée du matin. Aujourd'hui, la jeune fille avait pour mission de traire les vaches. Le fermier leur avait expliqué la manoeuvre quelques jours plus tôt, aussi était-elle confiante en entrant dans l'enclos des vaches. Mais son zèle diminua fortement quand elle se rendit compte du gabarit de la bête. Jagger n'était pas une peureuse et elle appréciait les animaux, mais elle ignorait à quel point les vaches étaient énormes. Disons qu'elle n'avait pas spécialement envie que l'une d'elle lui écrase le pied. Néanmoins, malgré leur taille, elles étaient paisibles et Jagger n'eut aucun mal à s'approcher. Extraire le lait du pis des animaux s'avéra compliqué. Jagger ne possédait pas la dextérité du fermier, apparemment, et elle mit plus d'une heure à remplir un premier sceau. Son doigté s'améliora un peu et elle remplit le second sceau plus rapidement. Voilà ce qu'elle fit toute une matinée durant : se casser le dos pour tâter le pis d'une vache, marchant régulièrement dans des bouses toutes fraîches. Car non, le travail ici n'était pas très glamour. Il ne fallait pas s'attendre au luxe. Jagger poussa un soupir de soulagement quand l'heure de la pause du midi sonna. Elle transporta laborieusement ses sceaux de lait jusqu'à l'abris. Jagger n'avait pas du tout faim, après tout ce temps passer à tripoter une vache dans les bouses. Aussi décida-t-elle de s'aventurer près du lac. La journée était magnifique et il faisait presque chaud. Le lac lui apporterait un peu de fraîcheur, et elle n'avait pas encore eu l'occasion de s'aventurer là-bas. Elle adorait se rendre sur les rives du Lac Noir, à Poudlard ; elle apprécierait sûrement celui-ci.

Elle y fut après quelques minutes de marche. Le lac était magnifique. Il était un peu plus petit que le Lac Noir mais il n'avait rien à lui enlever au niveau de la splendeur. Sa surface était lisse, calme ; il était bordé d'arbres de tous les côtés. En s'approchant du bord, Jagger constata que la rive descendait en pente douce et que l'eau était claire, si bien que s'y baigner devait être très agréable. Enfin, si on arrivait à rentrer dedans, car la température de l'eau était très fraîche. Ici, au moins, il était certain qu'aucune créature ne viendrait vous déranger. Jagger avait toujours craint le Lac Noir, car elle imaginait sans cesse le calamar géant qui se promenait en ses eaux profondes. Il ne devait y avoir dans ce lac-ci que quelques frêles poissons. Rien de bien alarmant, en somme. Jagger marchait ainsi depuis quelques temps, perdue dans ses pensées. Elle pensait à Archie qui avait dû retourner chez lui. Il aurait adoré ce voyage, c'était certain. Le jeune Serdaigle aurait pris beaucoup de plaisir à s'occuper des animaux. Il aurait été comme un enfant ! Jagger pensait aussi à Aniek, comme souvent ces temps-ci. Leur dispute restait gravée dans son esprit et elle n'arrêtait pas de songer que les choses auraient pu tourner autrement. Enfin, Aniek ne méritait que ce qu'elle avait eu. Jagger ne changerait pas de position. Aniek avait tort, elle était injuste. Soudain, le pied de Jagger heurta une racine d'arbre et elle s'affala de tout son long. C'était bien sa chance ! Elle se redressa rapidement. D'habitude, elle faisait toujours attention où elle mettait les pieds, pour justement éviter ce genre de situations gênantes. Ses habits étaient souillés de terre, maintenant. Heureusement que personne n'avait assisté à la scène… Sauf que justement, il y avait quelqu'un. Jagger releva la tête et remarqua que quelqu'un lisait, assis en dessous d'un arbre, quelques mètres plus loin. C'était Emrick. Ouf ! Elle le connaissait et savait qu'il ne se moquerait pas d'elle. « Oh… Salut » fit-elle avec un petit sourire. Elle tenta ensuite de se relever mais sa cheville était douloureuse, et elle retomba aussitôt par terre.

Jagger n'était pas du tout maladroite, en général. Il ne lui arrivait jamais de casser un objet accidentellement ou de trébucher dans les escaliers. C'était une jeune droite et douée dans à peu près tout ce qu'elle entreprenait, y compris quand il s'agissait de se déplacer. Elle savait aussi que beaucoup de gens pouvaient s'amuser de la maladresse des uns, aussi préférait-elle éviter de passer pour l'attraction de service. La jeune Poufsouffle avait déjà à faire avec son statut de sang. Elle était en effet née-moldue et fière de l'être ; elle n'hésitait pas à le revendiquer. Cela lui attirait malheureusement des ennuis : moqueries en tout genre, disputes… Il ne manquait plus qu'elle soit maladroite et ça serait la fin de sa réputation. Elle se fichait royalement de tout cela, mais quitte à choisir, elle préférait ne pas devenir la pas-douée de service. C'était pourquoi elle faisait toujours attention aux moindres de ses gestes et qu'elle se déplaçait de manière très consciencieuse. Or, ce matin, l'adolescente avait visiblement autre chose en tête. Se croyant seule, elle avait permis à son esprit de flâner un peu. Le paysage bucolique, délicieusement beau, avait laissé son attention s'échapper. Elle pensait à Archie, à Poudlard, à son père qui se trouvait bien loin d'elle… Elle pensait également à sa mère, qu'elle n'avait pas vu depuis un bon bout de temps. Sa mère, moldue, n'avait jamais accepté le pouvoir de sa fille et le fait que son ex-mari l'accepte beaucoup mieux qu'elle. Jagger, quant à elle, considérait qu'elle n'avait pas de mère. La sienne n'avait été qu'une génitrice. Jamais elle ne s'était comportée comme une mère l'aurait fait ; jamais elle ne lui a donné de l'amour, ou l'a soutenu. Peut-être que Jagger était trop dure avec elle, mais elle ne parvenait pas à comprendre comment une mère peut abandonner son enfance car celui-ci est différent.

Jagger fut interrompue dans ses pensées quand elle perdit l'équilibre et qu'elle s'étendit de tout son long. Génial. Elle se redressa rapidement, et repérant les endroits douloureux de son corps. Forcément, le choc l'avait un peu sonné, mais au bout de quelques secondes, la douleur qui inondait son corps disparut presque totalement. Il ne restait plus qu'une douleur sourde à sa cheville, qui devrait partir sous peau. Du moins, c'était ce qu'elle espérait. Cela devait faire quelques années que la Poufsouffle n'avait pas fait une si belle chute. Elle tourna la tête, pour regarder où elle était, et elle aperçut que quelqu'un avait eu l'honneur d'assister à la scène. Emrick se tenait là, sous un arbre, et lisait. Intérieurement, Jagger fut soulagée de constater qu'il s'agissait de lui et non pas qu'un élève moqueur. Elle appréciait le jeune garçon et elle n'avait aucun doute qu'il ne se moquerait pas d'elle. Elle le salua et tenta de se relever pour venir à sa rencontre, sans grand succès. Sa cheville lui faisait terriblement mal et elle ne pouvait pas s'appuyer dessus. La jeune femme regarda Emrick d'un air interdit. Sa fierté l'empêchait généralement de demander de l'aide, mais là, elle en avait besoin. Il fallait qu'elle jette un coup d'oeil à sa cheville. « T’as de la misère, on dirait. » commenta-t-il avec un petit sourire. Puis, il se leva et vint à la rencontre de Jagger, à qui il tendit la main. « Tu veux un coup de main ? Ça avait l’air douloureux, cette chute. » Jagger le regarda un instant, et sourit doucement. Elle attrapa la main du Poufsouffle, qui était bien plus grande que la sienne, et se releva, s'appuyant sur sa cheville encore valide. « Oui, je pense. Heureusement que tu étais là pour la voir, ça m'aurait attristée de ne pas avoir eu de public » fit-elle d'un ton un peu ironique. Elle essuya ensuite un peu ses vêtements, qui étaient couverts de divers végétaux peu ragoûtants. « Qu'est-ce que tu fais tout seul, par ici ? On ne peut pas dire que ce soit un endroit très vivant » demanda-t-elle poliment.