ondres, dix-sept heures passées. Par cette superbe journée d’été, l’actuelle responsable de la Ménagerie Magique avait fermé son magasin un petit peu plus tôt qu’à l’accoutumée afin de s’offrir une soirée au calme. La capitale britannique mettait à disposition de ses habitants de nombreux parcs verdoyants pour tous celles et ceux qui souhaitaient passer un moment dans un décor plus agréable qu’une étendue de goudron et de grattes-ciels. La lettre reçue quelques jours plus tôt de son ami Nathaniel l’avait inspirée; aussi, elle s’était rendue au St James’s Park notamment pour pouvoir savourer tranquillement la présence de la nature et de la faune locale.

Le parc offrait effectivement une incroyable diversité d’espèces en tout genre, et la présence d’un lac en son centre ne pouvait que sublimer la beauté de ce lieu déjà si enchanteur. Elle se trouvait en plein Londres Moldu, et il est vrai que cela lui faisait toujours un peu bizarre de penser qu’elle était différente de tous ces gens qui l’entouraient. Adelina avait passer la majeure partie de sa vie auprès de sa mère, qui était tout ce que l’on pouvait trouver de plus “normal” comme femme. Aussi, l’idée que certains sorciers puissent mépriser si amèrement les moldus ne faisait que la conforter dans sa perception de l’être humain : avec ou sans pouvoirs magiques, il était sans nul doute la plus ignoble des créatures sur cette terre. Incapable d’accepter ses propres semblables. Et que de ce fait, mieux valait sélectionner plus que minutieusement ses amis proches. Certains sorciers voudraient réduire les Moldus à un statut inférieur, si ce n’est pas les éradiquer. Quant aux moldus, il y avait fort à parier qu’ils se lanceraient dans une campagne d’extermination s’ils découvraient l’existence du monde magique; cela représenterait un trop grand danger pour eux.

Nathaniel, qui était issu d’une famille de sorciers au sang “pur”, avait probablement eu lui aussi vent de cette idéologie plus d’une fois dans sa vie. Ada espérait simplement qu’il n’était pas tombé si bas. Il n’avait pas l’air d’être ce genre d’individu, mais en trois années d’absence, elle ne pouvait être sûre de la personne qu’elle allait retrouver en face d’elle. Les lettres ne suffisent pas à elles seules, à se rendre bien compte de qui est réellement celui qui tient la plume. La jeune femme lui avait envoyé un hibou plus tôt dans la journée, en lui indiquant qu’elle fermerait sa boutique en avance afin de pouvoir prendre un peu l’air frais, et qu’elle l’invitait à la rejoindre si le coeur lui en disait. A vrai dire, elle s’attendait à voir Charly revenir avec une lettre déclinant son invitation; le petit Nath’ avait sûrement d’autres chats à fouetter et le prévenir ainsi au dernier moment n’était peut-être pas la méthode la plus adéquate pour fixer un rendez-vous. Mais qui ne tente rien n’a rien comme on dit.

Elle s’était donc assise au bord du lac, et avait retiré ses chaussures pour pouvoir tremper un peu ses pieds dans l’eau. Elle avait ramené avec elle quelques bouteilles d’Acerola Juice, une sorte de jus de cerises auquel elle était devenue complètement accro lorsqu’elle vivait encore sur l’archipel nippon et dont elle avait ramené un énorme carton pour elle toute seule. Nathaniel n’avait malheureusement pas l’âge légal exigé pour qu’elle puisse lui rapporter une bonne bouteille d’alcool comme elle l’avait fait pour Chloé; faire ça aurait en public aurait été le meilleur moyen de se faire arrêter par la police moldue. Elle porta ainsi le goulot de la bouteille de jus à ses lèvres et but quelques gorgées pour se désaltérer, le regard perdu au loin, s’attendant à voir Charly revenir d’une minute à l’autre à ses côtés.

ranquillement installée au bord de la somptueuse étendue d’eau, elle avait pleine vue sur le Buckingham Palace juste en face. Ce somptueux décor lui décrocha un sourire, le monde entier regorgeait décidément de trésors en tout genre, il fallait savoir apprécier ce genre de petits plaisirs quotidien que certains n’avaient pas forcément la chance d’apprécier. Comme le soleil; ça aussi elle avait appris à l’apprécier ! Ayant grandi dans le Sud de la France, le climat londonien était toujours un facteur un peu délicat auquel elle avait encore du mal à s’accoutumer. Fort heureusement, la journée d’aujourd’hui - bien que presque terminée - était des plus radieuse et la jeune femme n’avait pas à se plaindre. Alors qu’elle posa sa main à côté d’elle pour s’appuyer et changer de position, elle sentit quelque chose et la retira aussitôt en tournant la tête. C’était un petit écureil, visiblement pas farouche du tout, qui était en train d’inspecter le goulot de sa boisson. L’odeur sucrée avait l’air de l’intriguer. Adelina sourit, puis se saisit délicatement de son sac afin de ne pas effrayer la boule de poil et en sortit un petit paquet de fruits secs.

Elle en gardait toujours un sur elle pour éviter de céder à des tentations plus fortes comme des sucreries ou des chocolats, mais il fallait avouer que son pseudo-système anti-grignotage intempestif ne marchait pas si bien que cela, car elle se laissait très facilement convaincre par une douceur. Elle n’était pas spécialement friande de produits sucrés… Elle était friande de tout. Elle ne mangeait que rarement jusqu’à l’excès, mais de nature bon-vivant elle appréciait chaque plaisir que la vie lui offrait. Et le plaisir gustatif était l’un de ses préférés. Elle ouvrit le paquet et le posa juste à côté de la bouteille tout en observant le petit rongeur, qui fit passer son petit corps dans le plastique pour aller chercher lesdits fruits au fond du sachet et en ressortit plus que ravi. Il attrapa son butin entre ses petites mains et commença à grignoter, lorsqu’Ada le vit faire une pause, regarder quelque chose derrière elle puis s’enfuir dans la direction opposée. Au moment où cette dernière se retourna, elle aperçu Charly venir se poser sur son épaule et lui lâcha une lettre sur les genoux avant de s’en aller aussitôt. << Toujours aussi aimable ! >> lança-t-elle à l’oiseau qui ne dégna même pas lui accorder un regard.

Charly avait toujours été très misanthrope comme volatile. Elle avait toujours fait de son mieux pour établir le contact mais moins ce dernier fréquentait d’humains et mieux il se portait. Cela ne l’empêchait pas de remplir correctement son travail de postier, mais côté animal “domestique”, on repassera. Comme elle l’avait prédit, il devait s’agir d’une lettre de Nathaniel. Mais lorsqu’elle ouvrit la lettre, les mots qu’elle put y lire s’avérèrent légèrement différents que ce à quoi elle s’attendait. Alors qu’elle fronçait les sourcils en se questionnant, elle sentit quelqu’un lui murmurer quelques mots à l’oreille et surprise, elle sursauta. C’était une voix grave d’homme; les propos qu’il lui tint la laissa dubitative mais son intonation semblait tintée d’ironie. Elle se retourna complètement et le scruta de haut en bas, alors que ce dernier vint s’asseoir à côté d’elle. Elle attrapa alors la lettre posée sur ses genoux et se mit à la secouer devant le visage du jeune homme.

- Et c’est tout ce que tu trouves à me dire ?! C’est pas parce que t’es devenu un homme que tu dois te la jouer beau gosse mystérieux, ça prend pas avec moi !

Il s’agissait évidemment d’une plaisanterie, et elle ne tarda pas à lui accorder un sourire radieux. Ses yeux ne tardèrent pas à se poser sur le petit paquet noué d’un superbe ruban qu’il tenait dans sa main droite et sans bouger, elle lui demanda de quoi il s’agissait avec un regard interrogatif. Il lui indiqua ensuite qu’il avait énormément de choses à lui raconter et qu’il souhaitait qu’elle commence son récit la première. Elle leva les yeux au ciel pour réfléchir par où elle devait commencer avec une expression rêveuse.

- C’était génial, je suis sûre que ça te plairait ! Je t’ai déjà fais le plus gros du résumé dans ma lettre, mais c’est vraiment un pays riche en culture et d’une originalité très déconcertante. Cela reste le pays d’Asie que j’ai préféré. La Corée aussi c’était sympa, mais je suis moins fan de la cuisine. Puis elle le regarda de nouveau avec un petit sourire. Il est clair que le changement était très flagrant et qu’elle avait du mal à le reconnaître. Et toi, alors ? Il a dû s’en passer des choses dans ta vie d’ado depuis que je suis partie !

Elle aussi était heureuse de le retrouver, c’était un garçon auquel elle s’était attaché très rapidement et l’avoir vu grandir et évolué ne l’avait que conforté dans l’affection qu’elle lui portait. Elle sortit alors une deuxième bouteille de jus de cerises de son sac et la lui fourra dans sa main de libre sans lui demander son avis, l'incitant à boire.

trangement, lorsque leurs regards se croisèrent, Adelina su tout de suite à quoi il pensait. “Je ne suis pas petite-fille de voyant pour rien !” dirait-elle. La vérité, c’est simplement qu’à force d’observer les gens et de les connaître, il lui arrivait de voir certaines choses dans leurs yeux. Et à ce moment précis, elle se revoyait parfaitement inculqué une leçon de morale à un jeune garçon sur le caractère vieillissant de l’appellation “Tata” et pourquoi il ne fallait jamais évoquer de façon directe ou non l’âge d’une dame. Oui, il est vrai qu’elle était un poil féministe sur les bords. Mais le respect était une valeur qui lui tenait à coeur. Evidemment elle se doutait bien que le garçon à cette époque n’avait pas cherché à l’offenser, mais elle espérait sur le moment que le discours moralisateur qu’elle lui avait fait lui servirait à l’avenir, lorsqu’il serait devenu un homme. Comme aujourd’hui. Et un homme distingué ne doit en aucun cas évoquer de près ou de loin l’âge d’une demoiselle.

Puis, il lui indiqua qu’il souhaitait la voir enfin demeurer plus longtemps sur place. Cette remarque la fit sourire, Chloé lui avait fait exactement la même la première fois qu’elle l’avait revue à son retour. Elle sentait son influence à travers ces paroles et cela lui fit plaisir de constater que malgré le temps et la distance, elle n’avait rien perdu de son importance à leurs yeux.

- Ne t’en fais pas, la société et le bon sens ont décidé qu’à mon âge il était temps de mener une vie moins disparate… Bon et à vrai dire, il faut bien que je gagne mon pain !

Son sourire s’effaça progressivement lorsqu’il indiqua qu’ils ne s’étaient pas fait attaquer durant leur voyage, comme s’il s’agissait d’un événement exceptionnel. A quel niveau de démission la sécurité de l’une des plus prestigieuses écoles de magie mondiale était arrivé pour que les élèves en viennent à penser qu’il était inhabituel de ne pas être en danger ? La jeune femme secoua légèrement la tête pour chasser cette idée de son esprit. Elle était beaucoup trop catégorique dans ses conclusions. Cela ne devait pas être facile de gérer ce genre d’établissement avec toutes les menaces extérieures qui pouvaient les guetter. Il s’agissait sûrement d’une négligence qui, à en croire les paroles de Nathaniel, était en train d’être corrigée. Elle l’écouta répondre brièvement à sa question, et lui sourit gentiment. Il est vrai qu’elle ne pouvait pas trop la ramener côté “présence”, elle était partie du jour au lendemain et avait laisser tout le monde derrière elle. Mais elle faisait parti de ces personnes qui estimaient que l’on n’était jamais mieux servi que par soi-même; et que si elle ne s’occupait pas de son propre bonheur, personne ne le ferait à sa place. Peut-être était-elle un brin égoïste, mais elle n’avait jamais prétendu le contraire. En revanche, elle était plus qu’heureuse de voir que les personnes qui lui tenaient à coeur ne l’avaient pas oubliée même pendant son absence et ça, ça n’avait pas de prix. Elle lui posa alors la main sur l’épaule, comme pour signifier qu’elle était fière de lui.

- Aux vues de l’homme que tu es devenu, cela a plutôt l’air de t’avoir réussi ! Tu n’es pas plus bête qu’un autre, tu as l’air d’avoir su prendre ta vie en main comme il se doit !

Il lui demanda alors où elle en était côté coeur. Elle adopta une moue faussement boudeuse en voyant le sourire qui se dessinait sur le visage de son interlocuteur. Elle leva les yeux comme pour réfléchir à ce qu’elle allait répondre, avant de se lancer.

- Si tu ne l’as jamais su, saches que j’ai rarement été le genre de fille à m’engager… Dans tous les aspects de ma vie, d’ailleurs. Je ne suis pas à plaindre côté garçons, j’ai su profiter des opportunités que la vie m’offrait tout en conservant mon intégrité. Pour résumé, ce n’est pas demain que tu deviendras ma demoiselle d’honneur, si c’est ce que tu veux savoir ! lança-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Puis elle sourit à son tour, croisa les bras et se rassit plus confortablement pour l’écouter plus attentivement. Et vous, très cher, quel type de lady vous donne des papillons dans le ventre ?

athaniel attrapa la bouteille de jus de cerises qu’elle lui proposait, qui ne semblait visiblement pas de trop. Elle le laissa goûter tout en observant son visage pour constater à son expression s’il aimait ou pas. C’était une boisson très sucrée, cela ne pouvait pas plaire à tout le monde et pour sûr, bien qu’elle soit très rafraîchissante ce n’était pas ça qui allait lui couper la soif. Il lui tendit alors le paquet qu’il tenait dans la main en lui indiquant qu’elle ne pourrait pas savoir ce qu’il contenait sans l’ouvrir. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle découvrit une superbe chaîne dorée avec un médaillon abordant en son centre une vieille photographie dont elle se souvenait pourtant très bien. Adelina parut à la fois stupéfaite et plus que ravie à la vue du présent; elle ne tarda pas à embrasser le jeune homme sur la joue pour le remercier.

- Tu n’étais pas obligé… Ce bijou est vraiment sublime ! Décidément, ça me rajeunit pas, tout ça ! dit-elle avec humour en indiquant la photo.

Elle donna la chaîne à Nathaniel et souleva ses cheveux afin que ce dernier puisse la lui attacher autour du cou. Ce n’était effectivement pas si facile de le faire soi-même. Une fois cela fait, ils en revinrent à discuter des dernières années de Nathaniel et la main chaleureuse qu’elle avait posé sur son épaule semblait lui avoir redonné un coup de fouet. Ils ne tardèrent pas à aborder un sujet beaucoup plus “léger”, et lorsqu’Ada lui indiqua qu’elle n’était pas du genre à s’engager, ce dernier lui rétorqua que cela ne le surprenait pas.

- Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? demanda-t-elle avec un air faussement outré.

Evidemment, elle n’était pas offensée le moins du monde. Mais même si elle n’était pas le genre de personne à se cacher, ni à ne pas assumer son comportement, elle avait toujours fait en sorte d’être discrète sur ses relations et l’idée que même un garçon aussi jeune (à l’époque) se soit aperçu de son manque de sérieux la laissait dubitative. Elle avait toujours fait en sorte de se montrer honnête concernant ses intentions avec ses fréquentations, et ces derniers ne semblaient pas non plus se plaindre de son attitude. Bon… Il est vrai qu’elle n’était pas non plus du genre à se prendre la tête et passait rapidement à autre chose lorsque ses conditions n’étaient pas acceptées. A vrai dire, elle ne leur laissait pas vraiment le choix non plus… Mais les relations demandant trop d’implication était pour elle quelque chose de prématuré. Elle n’avait pas envie de dépenser trop de temps ni d’énergie à s’investir pour une relation que la distance aurait très rapidement brisé. “On essaye, et on voit où cela nous mène. Cependant je ne tiens pas à faire de concessions quelles qu’elles soient, ni sur ma façon d’être, ni sur mes projets.” Ce discours en avait découragé plus d’un, et même avec les années, il n’avait pas vraiment changé.

Elle lui accorda alors un sourire malicieux lorsqu’il manifesta sa déception de ne pouvoir exhiber sa “tenue de demoiselle d’honneur”.

- T’auras le droit de la porter pour mon prochain anniversaire si tu tiens tant à l’arborer pour une grande occasion ! Je suis persuadée qu’elle te siéra à ravir !

Puis, lorsqu’elle lui demanda quelle était son type de femme, celui-ci lui répondit par un nom. Adelina resta silencieuse en le fixant pendant quelques secondes avant d’ouvrir grand la bouche d’un air émerveillé. Elle appréciait combien Nathaniel avait été direct en répondant à sa question et, en demoiselle qui se respecte, ce genre d’histoire attirait tout particulièrement son attention.

- C’est pas vrai, mon petit protégé a une autre femme dans sa vie ! C’est merveilleux ! Qui est donc cette demoiselle ? Lui as-tu déjà fait part de tes sentiments ? Je veux tout savoir !

Elle croisa les bras et les jambes, son regard pétillant plongé dans les yeux de son interlocuteur, attendant qu’il lui raconte dans les moindres détails tout ce qu’il y avait à savoir sur la dénommée Chleofee qui était entrée dans sa vie.