Le dimanche était le pire jour de la semaine selon Sarah, le seul qui n'avait d'utilité que de leur donner du temps à perdre... Vingt-quatre longues heures qu'il fallait occuper tant bien que mal. Bien entendu, ses devoirs étaient bouclés depuis un moment et la bibliothèque, prise d'assaut par les retardataires, n'avait plus rien du coin tranquille qu'elle connaissait. On aurait pu penser que la salle commune des Poufsouffle était the place to be, mais non... Les premières années parlaient de leur cours et de leur vie, remplissant l'atmosphère de leurs bêtises et éloignant la Préfète mieux que toute autre chose... C'est ainsi qu'après le déjeuné, la blonde s'était retrouvée à errer dans les couloirs. Un rayon de soleil farceur en profita pour lui montrer à quel point il faisait beau dehors, la poussant brusquement à changer de cap et à aller dehors.

Sarah descendit joyeusement les marches qui menaient au hall, croisant une petit groupe de troisièmes années qui suivait de loin une rouquine, la toisant sans ménagement. Elle prêta une oreille attentive à leur conversation, toujours prête à entendre de nouveaux ragots, quelque chose à raconter aux copines lors du dîner, entre le plat et le dessert. Cependant, ça ne fut pas très concluant, et pour cause, elle ne comprit pas grand chose de leur langage...

"T'es ouf ou quoi, c'te meuf elle est trop cheum...?" répéta t-elle prudemment comme s'il s'agissait d'une formule dangereuse alors qu'elle s'avançait entre les arbres du parc.

Elle imagina sans mal les origines moldues des élèves en question, sans être pourtant si péjorative que ça, mais ne s'attarda pas davantage, elle pensait avoir deviner l'essentiel, à savoir que la pauvre fille était la cible de leur paroles. La Préfète soupira et continua son chemin sans porter plus d'intérêt aux troisièmes années. A l'ombre d'un grand arbre, non loin du lac, elle remarqua l'un de ses collègues préfets, Lucas, avec qui elle avait déjà eu l'occasion de parler. Elle accéléra donc le pas et se planta devant lui.

"T'as été à la pêche aujourd'hui ?"

Elle lui sourit gentiment, en souvenir de leur conversation. D'accord, ils avaient plutôt bavassé de Mimi Geignarde et de ses fréquentes inondations, mais ça restait tout de même une conversation courtoise. Banale, mais pas désagréable. Elle lança un vague regard autour d'elle, mais ne voyant aucune tête connue, elle se décida à lui tenir compagnie, un peu de force, certes.

"J'peux m'asseoir ?"

Elle n'attendit pas franchement de réponse et se laissa gracieusement tomber dans l'herde non loin du Gryffondor...

"Non, aujourd'hui j'ai prévu de créer neuf horcruxes. Je suis en train de regarder les élèves et de voir mes futures victimes potentielles !"

Si elle avait lancé sa première phrase sur le ton de la plaisanterie, Sarah ne put s'empêcher de sursauter en entendant la réponse du Gryffondor. Son rire la rassura légèrement mais ne l'empêcha pas de le penser étrange, voire même dangereux. Ce n'était pas tout le monde qui disait haut et fort vouloir concurrencer Celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom, et elle n'aurait jamais imaginé qu'un Rouge et Or le ferait. Le sujet n'était pas vraiment amusant mais dans le doute, la Poufsouffle se décida à entrer dans son jeu. Si jamais il passait vraiment à l'acte, il valait mieux l'avoir en allié qu'en ennemi.

"Si tu veux, j'ai une liste impressionnante de victimes potentielles et pour certaines, tu ne serais même pas obligé de sortir de ta salle commune. Mais neuf, c'est quand même beaucoup, non ? Je sais que Tu-Sais-Qui en a fait huit, mais c'est un exploit, il n'a jamais été dit qu'on pouvait recommencer un tel acte."

Elle s'était déjà posée la question en lisant un livre d'histoire moderne, elle avait même été jusqu'à la poser à ses parents mais elle s'était fait recevoir avec une sévérité qu'elle n'avait pas prévu. Loin d'elle l'envie de l'imiter, l'immortalité ne lui disait rien qui vaille, juste celle de répondre à sa curiosité mais elle n'en avait jamais su davantage. Un jour peut-être...

"Tu n'as rien à faire de ton dimanche ? Tu flannes ?"

Elle n'avait rien à faire de son dimanche... Non... Mais, c'était affreux, un dimanche, c'était un jour inutile où Poudlard n'avait plus rien de la magie dont il était généralement rempli. Ses doigts se mirent à jouer d'eux-mêmes dans les herbes qu'il y avait près d'eux. Le ciel était clair et les nuages jouaient à celui qui ressemblerait le plus à un nuage, autant dire qu'ils n'avaient rien d'intéressant... Une feuille traînait par là, la Poufsouffle l'attrapa et commença à la regarder, attachant son attention sur elle, faute de mieux.

"Je n'aime pas les dimanches. Ma soeur n'a pas de devoirs et j'ai fini les miens. Inutile de dire que mes amies, elles, sont encore à la bibliothèque pour terminer les leurs. Je pourrais bien leur passer mes copies mais je n'ai pas envie de les aider cette fois. Il n'y a donc plus grand chose à faire... Et toi ? A part tes sombres desseins, tu n'es visiblement pas plus occupé que moi."

Il pourrait difficilement dire le contraire, ou en tout cas, c'était l'impression de la jeune fille. Elle soupira discrètement. Les heures commençaient à s'écouler, la rapprochant un peu plus du Lundi, de la libération du Lundi... Son regard s'attarda vraiment sur la feuille prisonnière. Elle la vit tourner entre ses doigts un moment et se redressa légèrement, soudainement intéressée. Ca lui donnait une vague idée de jeu.

"T'as vu, elle a une forme de coeur..." fit-elle remarquer. "Tu crois que c'est un signe ?"

"Je rigolais, hein. J'ai beau être fou pour la plupart du temps, je ne suis pas psychopathe et ne compte pas faire des horcruxes. Mais il est vrai que neuf c'est beaucoup, déjà que je trouve qu'un seul c'est horrible alors... Et toi, des victimes potentielles ? Tu as tant d'ennemis que ça ?"

Le Gryffondor sembla au moins tout aussi étonné qu'elle. C'était pourtant lui qui avait laissé le sujet, elle s'était contentée de le suivre en se montrant plus ou moins serviable. Sans attendre qu'il saute de joie, elle pensait qu'il se serait montré reconnaissant, voire même curieux de connaître la liste en question afin de se mettre au travail au plus vite. De ce qu'elle savait Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom avait mis de nombreuses années à créer l'ensemble de son oeuvre, aussi Lucas ferait-il mieux de s'y prendre dès maintenant puisqu'il avait émis le souhait de dépasser le sombre exploit.

"Horrible..." répéta t-elle sans paraître aussi convaincue que ça mais néanmoins sans engager un débat sur la question. "Ca dépend ce que tu appelles ennemi. Si on s'arrête au fait que ce sont des gens que je déteste; non pas tant que ça. Après si on pousse la liste jusqu'aux gens qui ne m'apprécient pas, qui ne m'inspirent qu'une profonde indifférence et ceux que, sans les détester, j'aimerai voir dégager de mon chemin, je n'aurais jamais assez de parchemins pour l'écrire."

Si elle avait toujours su être entourée, elle ne pouvait pas décemment compter ses relations comme des amis et n'éprouvait pas forcément de sympathie pour la totalité d'entre elle. Il y avait dans leurs moments partagés un grand nombre d'intérêts qui faisaient fuir toute possible confiance, toute possible amitié. Elle s'y était cependant fait, visiblement eux aussi puisqu'ils n'avançaient pas la moindre remarque... Le monde était bien fait et leur mascarade pouvait continuer encore longtemps.

"Je ne suis pas sûre qu'en faire des horcruxes soit la meilleure idée qu'on puisse avoir à leur encontre, mais les savoir mort ou disparu de me gênerait pas."

Si elle avait été d'un sérieux effrayant, le sourire amusé qu'elle gardait sur les lèvres indiquait tout le contraire comme si elle s'était contentée de jouer le jeu, comme elle l'avait fait au départ. Le Gryffondor paraissait un peu naïf, il le prendrait certainement à la rigolade et changerait de sujet sans poser plus de questions et effaçant machinalement les quelques inquiétudes qui auraient pu naître sous ses mots. Ou il lui fallait espérer du moins... Tous les Gryffondors ne pouvaient pas non plus la prendre pour une dangereuse adepte de magie noire assoiffée de pouvoir et de grandeur sans que cela nuise à son image et à sa réputation.

"J'avais envie de profiter du soleil, pour ma part, pas rester dans la salle commune qui est occupée par à peut près tout le monde, hormis ceux qui sont dans la bibliothèque, sur le terrain de Quidditch ou alors avec leurs amis... Et moi, les miens sont soit en train de faire leurs devoirs soit... Par exemple, mon meilleur ami est soit sur le terrain, soit avec sa meilleure amie, alors je me vois mal le déranger."

Une solitude qu'il ne voulait pas enveloppa étrangement ses explications. Ils vivaient de façons assez proches ce maudit dimanche... A la différence qu'elle recherchait cette solitude, ou du moins qu'elle en avait l'impression puisque si c'était vraiment le cas, elle n'aurait pas arrêté son chemin à ses côtés. Illusion ou pas, elle lui permettait en tout cas de bien vivre de voir ses amies occupées ici ou là alors que le jeune homme avait l'air déçu, attristé que son meilleur ami n'ait pas plus de temps à lui consacrer. C'était compréhensible. Sarah ne trouva rien à répondre. Elle n'était pas douée en tant que psy, du moins pas avec les gens qu'elle ne connaissait pas et à qui elle ne voulait pas forcément du mal.

"Oh oui, un énorme même ! Ca veut surement dire que tu va rencontrer l'homme de ta vie !"

Puisqu'il semblait accepter inconsciemment la partie, elle sourit. Ca s'annonçait amusant. Rien de mieux pour égayer un peu cet interminable après-midi. Est-ce qu'il avait compris ou était-ce simplement une réponse malheureusement mal venue qui allait le pousser dans la comédie que lui réservait la Poufsouffle ? Elle n'en savait rien mais ne cherchait pas à le savoir non plus, ça n'avait aucune importance, il était là et lui servirait de divertissement et ce même contre son gré.

"Tu crois ? Et je le rencontrerai quand ? Il parait que c'est la mode, à Poudlard, d'y rencontrer la personne avec qui on vivra plus tard... La fin de l'aventure n'est pourtant pas loin, il devrait se dépêcher, "l'homme de ma vie", désormais."

Elle lui tendit la feuille d'un geste vague et l'observa la regarder sous toutes ses coutures un instant. Elle n'y voyait qu'une feuille, rien qu'une feuille rougie par les saisons, rien de plus. Pas de coeur, ou quelques autres formes soi-disant significatives... Il n'était pas obligé de la savoir, surtout qu'il paraissait la croire...

"Oui, en fin de compte, je dirai qu'elle y ressemble aussi."

Sa réponse le surprit mais elle ne laissa rien voir, se contentant de feindre le ravissement dans un sourire rayonnant. Elle n'allait pas s'en plaindre, tout de même. Il lui facilitait la tâche en voyant dans de vulgaires feuilles d'arbre ce qu'elle avait bien pu inventer dans le simple but d'occuper le temps, bien trop long...

"Ce n'est probablement pas un hasard, si ? Qu'on puisse voir la même chose dans la même feuille..."

"On ne peut pas aimer tout le monde ou être apprécié de tout le monde de toute façon. Tant que tu as des amis en qui tu peux avoir confiance, c'est surement l'essentiel !"

Sarah se contenta de sourire. Elle n'était pas certaine de pouvoir faire totalement confiance à une seule personne dans ce château. Sa soeur, Danah, ne comptait pas puisqu'elle ne faisait heureusement pas partie de ses soi-disant amis. Il y avait les gens qu'elle appréciait, ceux avec qui elle s'entendait bien (qui n'était forcément ceux qu'elle appréciait), ceux qu'elle n'aimait pas et qui le lui rendaient bien et puis il y avait les autres. Tant d'autres élèves insignifiants qu'elle devait côtoyer par obligation et à qui elle n'accordait généralement pas le moindre regard. Pourtant, parmi toutes ces personnes rangées dans toutes ces catégories, elle n'avait pas trouvé quelqu'un à qui faire aveuglément confiance.

Il fallait être réaliste, les gens en étaient indignes. Qui pouvait avouer sans mentir n'avoir jamais été trahi ou déçu par ceux à qui il faisait confiance ? Personne, naturellement. Elle-même faisant partie de ces traîtres savait très bien ce qu'il en était et que la trahison ne prévenait pas. Alors, pour éviter toute souffrance inutile, elle avait trouvé bien plus malin de ne s'appuyer sur personne. L'intelligence du plan était bien entendu discutable mais semblait pour l'instant avoir porté ses fruits et c'était encore le principal.

Bien que la Poufsouffle eut dit la vérité sur ses habituelles envies de voir bon nombres de ses camarades disparaître de la surface du château, son sourire feignant l'amusement avait réussi à sauver les apparences et à lui faire croire qu'elle rigolait. Heureusement. Il y avait assez de l'imbécile Sélené pour la voir comme une potentielle menace pour l'école. Elle sourit davantage mais suivit l'exemple du Gryffondor et ne rajouta rien. Il ne semblait pas se méfier ce qui était plutôt bon signe. Visiblement Scipion n'avait pas répandu son venin au sein même de sa propre maison. Peut-être le pensait-elle plus vil qu'il ne l'était en réalité ?

La conversation reprit son cours sur un ton plus léger, bien loin des idées de domination de Poudlard par la force ou d'exploits illégaux. Ce n'était pas plus mal ainsi puisqu'ils n'étaient malheureusement pas les seuls à vivre entre les murs du château et qu'on apprenait bien vite qu'avaient des oreilles tout ce qui n'était pas censé en avoir. Les portes du jeu qu'elle avait lancé à son insu commencèrent à se refermer lentement sur le pauvre Lucas. Il ne semblait pas avoir conscience de quoi que ce soit pour le moment.

"Je sais pas. Bientôt peut-être, en tout cas je l'espère pour toi !"

Il ne devait pas vraiment la connaitre mais se rendrait certainement bientôt compte que quelque chose n'était pas naturel, que ce n'était pas parfaitement normal surtout venant de la superficielle Sarah Wotton, dès lors il ne lui resterait plus qu'à plier bagages et à trouver une autre occupation pour le reste de sa journée...

"J'espère. Peut-être que je ne le connais pas encore vraiment, parce que je n'imagine vraiment pas "l'homme de ma vie" dans les garçons que j'ai l'habitude de côtoyer."

Ce n'était pas forcément vrai mais le secret aidant, personne n'en savait rien. Ni ses plus proches amies, pas même sa frangine. Il avait été convenu que le secret en resterait un tant qu'elle n'en avait pas décidé autrement. La seule histoire que certains lui prêtaient à tort était avec Rentford, preuve qu'ils jouaient assez bien. Aussi, ça ne choquerait pas grand monde de la voir flirter, ou du moins faire semblant, avec son collègue préfet. Après tout, ce n'était qu'un jeu...

"Un hasard ? Si, surement, je pense que ça en est un. Pourquoi ?"

Elle soupira tristement à sa réponse et lâcha la feuille des yeux, semblant particulièrement affectée. Elle avait toujours été assez douée pour jouer la comédie, c'était bien l'une des rares choses qu'elle savait faire à la perfection, et se plaisait à se composer en permanence des rôles qui n'avaient que peu de choses à voir avec elle... Elle se perdit vaguement dans la contemplation du parc, non loin d'eux, laissant le silence s'installer un instant avant de le rompre sans ménagement.

"Tu dois probablement avoir raison..."

Le Gryffondor ne se rendait effectivement compte d'absolument rien. Le petit jeu de la Poufsouffle n'était pas en train de le perturber ou quoi que se soit d'autre, n'y voyant rien que de la pseudo innocence quant-à l'attente d'un "grand amour". Alors il argumentait comme il l'aurait fait pour n'importe qui, car en faite, il souhaitait malgré tout à tout le monde de tomber amoureux. Les avis étaient souvent partagés, après tout, quand on devient dépendant de quelqu'un, c'est horrible non ? Et pourtant. Bref, quand la préfète se mit à répondre qu'elle ne pensait pas connaitre l'homme de sa vie, du moins, elle ne pensait pas que c'était quelqu'un qu'elle pouvait côtoyer.

"Peut-être qu'au contraire tu le vois souvent mais que tu l'imagines juste pas comme tel ?"

Lucas ne pensait même pas qu'elle était en train de flirter avec lui ou quoi que se soit dans ce style là. A vrai dire, il n'imaginait tellement pas la préfète dans 'ce rôle là' qu'il ne pouvait pas s'en rendre compte. Il pensait Sarah naïve, mais le plus naïf des deux était surement lui, d'ailleurs.
Il ne comprenait pas pourquoi elle avait l'air déçue de sa réponse, comme quoi ça pouvait être un hasard. La feuille tomba doucement sur le sol et elle regarda finalement au loin. Il suivit son regard mais ne trouva rien d'intéressant au bout de celui-ci... Quand elle rompit le silence qui s'était péniblement installé, il ancra son regard dans le sien, l'écoutant et fronçant les sourcils. Pourquoi être si déçue ?

"Quelque chose ne va pas ?" tenta t-il avant de regarder le sol.

Il commença à s'amuser à faire des cercles sur le sol, ne trouvant rien de plus amusant à faire pour passer le temps, puisqu'un nouveau blanc venait de s'installer. Peut-être qu'il avait dit quelque chose de mal ? Il n'en avait aucune idée et ne comprenait vraiment pas les brusques changements d'attitudes de la Poufsouffle. Peut-être était-elle simplement lunatique ?
Lucas releva précipitamment la tête quand il entendit son prénom. Un ami de Gryffondor, qui venait visiblement de finir ses devoirs, était en train de l'appeler. Il regarda la jeune fille et sembla hésiter : La laisser seule alors qu'elle ne semblait pas bien, ou partir avec son ami puisqu'ils avaient prévus quelque chose si celui-ci finissait ses devoirs à temps ?

"Désolé, il faut que j'y ailles..." souffla t-il avant de sourire. "Heureux d'avoir un peu plus discuter avec toi !"

Le rouge & or se leva et fila après avoir posé un dernier regard sur la préfète, ayant malgré tout quelques remords de la laisser comme ça.