Il commençait à faire chaud. L'hiver s'en allait enfin. Avec un peu de retard, certes, mais il partait. Et c'était désormais les vacances, le retour à la maison, les muffins le matin, les cris le midi, les câlins le soir. J'allais revoir Crapule n°1 et Crapule n°2 se chamailler pour la robe rose de Barbie ; Crapule n°3 allait pleurer pour que je lui lise une cinquième fois l'histoire de la Belle et la Bête avant qu'elle ne s'endorme. Du bruit du matin au soir, du bruit, toujours du bruit. Ma famille me manquait.
J'entendais déjà la chanson de la gare. "Le train à destination de Henley-on-Thames aura vingts minutes de retard pour cause de grève." Cette voix mélodieuse qu'on a envie d'étrangler. En sortant de la douche, je songeais à cette pauvre femme qui ne devait avoir aucune vie sociale à cause des ennemis qu'elle se fait chaque jour en annonçant l'annulation d'un train. Des centaines de gens qui, chaque jour, imaginent une manière de lui faire ravaler son ton léger alors qu'elle ne se doute de rien.
Ma valise était prête. Je partais l'après-midi pour rejoindre cette voix, puis mes sœurs -avec une bonne demi-heure de retard. En attendant, je pouvais faire ce que je voulais. Mais je ne savais pas ce que je voulais. Faire un tour à Pré-au-Lard ? Pas sûr qu'on me laisse y aller. Et puis, je serais certain d'être vraiment en retard. Aller à la Bibliothèque ? Aucun intérêt. La Grande Salle ? A cette heure-ci, les tables étaient vidées de toute trace de petit-déjeuner. Non, il ne me restait que l'extérieur du château. Avec un peu de chance, je croiserais un ami en chemin qui me proposerait de tester les boules puantes qu'il aurait acheté la veille dans la salle de bain des préfets.
Saluant la Grosse Dame au passage, je descendis donc les étages, sans râler après les escaliers capricieux, pour une fois. Une fois dehors, je pus constater que la cour était vide -excepté deux ou trois âmes perdues comme la mienne, qui erraient, à la recherche d'une quelconque activité. La plupart étaient déjà chez eux, ou encore en train de dormir, ou je-ne-sais où encore. Pourtant, il faisait beau. Et malgré la tête de zombie dépressif que j'affichais, j'étais de plutôt bonne humeur en sentant le soleil réchauffer mes bras nus.
Me prenant au jeu du fantôme errant, je laissai mes jambes me conduire au parc, avec la même vigueur qu'un elfe de maison sans tâche à accomplir. L'herbe verte et fraîchement coupée embaumait l'air de son parfum, et la grande étoile n'était plus très loin de son zénith. Risquant le coup de soleil, je m'allongeai par terre, à la merci de l'astre de la vie -et des bestioles qui voudraient me grimper dessus. Sans me préoccuper de l'heure, je fermai les yeux, pensant que la faim finirait par me réveiller -au lieu de quoi je comptais sur une mouche pour rentrer dans ma bouche et manquer de m'étouffer pour ne pas arriver trop tard au Poudlard Express.

Je rêve rarement, quand je dors. Ou, en tout cas, je ne me souviens jamais de mes rêves. Quand je rêve, je ne fais que des cauchemars, remplis de gens sans visages qui m'ignorent, de Barbies aux cheveux relevés qui embrassent des Kens en costume, de petites filles qui crient, d'homme-bonbon qui me pousse hors de Poudlard. Une fois, j'ai même rêvé du Poudlard Express qui emportait Judith, Lydia et Jemina pour je-ne-sais quelle destination. Et moi qui essaie de courir, mais mes jambes ne me portent plus, ne veulent plus bouger. Ce sentiment de frustration qui grandit, qui me donne envie de crier. Mes cauchemars ne me font pas peur. Ils m'angoissent.
Mais lorsque j'ai ouvert les yeux, ce jour là, je n'avais pas rêvé. Je ne sais même pas si j'avais dormi, en fait. Le soleil avait été remplacé par le visage rougissant d'une première année qui semblait s'inquiéter. Elle me scrutait de ses grands yeux clairs, comme une petite secouriste prête à agir. Je souris en remarquant un air de ressemblance avec ma première petite sœur. « C’est donc toi, ma petite mouche. » avais-je murmuré pour moi-même, avant de tourner la tête pour voir si le soleil avait bougé. Comme il arrivait tout juste à son zénith, je regardai à nouveau la petite fille, avant de me redresser pour m'asseoir en tailleur, face à elle. « Ça t'arrive souvent d'interrompre des élèves plus vieux que toi en plein milieu d'une sieste ? » lui avais-je demandé, d'un ton peut-être un peu trop brusque pour le pauvre petit être timide et fragile qu'elle semblait être. C'est pourquoi je m'étais empressé de rajouter : « Parce-qu'on dit que les adolescents sont comme des ours qu'on empêche d'hiberner, quand on les réveille. Tu as de la chance qu'on ne soit plus en hiver. » Je lui parlais comme à mes petites sœurs, dont la plus vieille avait pourtant au moins trois ans de moins qu'elle. Je crois qu'elles me manquaient vraiment, en fait. Je n'aurais jamais pu tenir une semaine de plus sang les voir.
Mon ventre m'indiqua qu'il faisait faim d'un grognement sourd, assez gênant, je dois dire. Je tentai de l'étouffer en toussant d'une manière pas vraiment crédible. Me frottant la nuque, j'entrepris de détourner l'attention de mon estomac en essayant de la faire parler. « Et sinon, tu venais faire quoi, par ici ? Je suppose que tu ne cherchais pas quelqu'un à sauver de l'insolation ? » Ce faisant, je cherchais tout de même sur elle une quelconque trace de nourriture que sa bonne âme -manipulée par quelques phrases bien tournées- voudrait bien me céder. Alistair Rory Turner n'est pas fait pour jeûner.

« Et sinon, je connais les bonbons au Daim ! Mais, mes préférés reste quand même les bonbons au citron. » J'avais jamais aimé les bonbons au citron. Trop acides pour être des bonbons, ou trop doux pour être au citron. Non, les bonbons au citron n'étaient pas bons. Pour moi, seuls les daims méritaient leur place dans le rayons "friandises" des supermarchés moldus. Mais la petite semblait les aimer, alors je me promis de lui en acheter un paquet, puisqu'elle m'avait gentiment passé le sien ce jour-là.
Elle me laissa ensuite parler, attentive, presque craintive de m'interrompre. Je me demandai si, en première année, j'avais été aussi timide et respectueux de mes aînés qu'elle. Ca me semblait remonter à si longtemps... Le Choixpeau, la baguette, mon premier "wingardium leviosa" ; toutes ces choses qui m'avaient effrayé, qui me semblaient incroyables il y a à peine cinq ans, je les accomplissais avec le plus grand naturel du monde, à présent. C'est à peine si je me souvenais de ce que j'avais ressenti en voyant Poudlard pour la toute première fois. Je lui demanderais plus tard ce qu'elle pensait de notre école.
« Moi c'est Swan, ou Elsa, ou Chouchou, comme tu veux ! » se présenta-t-elle avec la vigueur due à son âge. Chouchou. Un surnom qui lui allait à merveille. Elle attrapa dans un même temps le paquet de bonbons que je lui tendais et se goinfra à son tour, ce qui me fit sourire. « Sinon, je pense que la dame du Poudlard Express aura des Chocogrenouilles, ou des Dragées Surprise. Il parait qu'il y a le goût "Savon" ! Si ça se trouve tu fais des bulles quand tu les mange, comme dans les dessins animés ! » enchaîna-t-elle rapidement. Cette dernière image me fit rire. J'imaginais la petite Swan faire des bulles de savon plus grosses qu'elle dans un hoquet. « Oui, je pense aussi. Mais dis-moi, tu as l'air bien informée sur ce que vend la dame du Poudlard Express, pour une première année ? souris-je, avant de me pencher en avant et d'enchaîner, sur le ton de la confidence : Une fois, moi, j'ai mangé une dragée surprise goût poubelle... Alors un conseil : si tu en trouves une un peu kaki, ne la manges surtout pas, d'accord ? » Je me redressai ensuite en lui faisant un clin d’œil, avant de m'étirer. Il devait à présent être midi bien entamé, vu le soleil juste au dessus de nos têtes. « Dis-moi, tu as quelles cartes, toi ? J'ai trouvé un deuxième Merlin y'a pas longtemps. C'est p't'être pas la plus rare, mais c'est un des plus grands sorciers de tous les temps. Si tu veux, je te la donne. » Et en disant cela, je sortis de ma poche la carte et la lui posais sur les genoux en souriant. « Le Poudlard Express part à 14h30, il me semble. Tu veux aller manger un morceau à la Grande Salle, en attendant ? » proposai-je en me levant. Les bonbons avaient coupé ma faim, mais pas pour longtemps, je le savais. Et je n'aimais pas avoir faim.