Le dîner était terminé depuis un moment déjà et la Bibliothécaire, Madame Crewe, avait plus ou moins gentiment fait comprendre à Bonnie qu'il était l'heure de partir, Oliver avait même déjà eu l'occasion de passer lui dire bonne nuit, encore tout dégoulinant de la pluie qui tombait au dehors. Les minutes avaient filé rapidement depuis que la jeune fille s'était installée entre les livres pour rédiger une énième lettre à son père, lui racontant inlassablement ses journées, oubliant néanmoins volontairement de raconter ce qu'il se passait parfois une fois la porte de sa salle commune passée, préférant ne pas dire toute la vérité plutôt que de prendre le risque de ne pas remettre les pieds à Poudlard à la prochaine rentrée.

La Serpentard avait rangé silencieusement ses affaires et avait quitté l'antre calme pour se perdre dans les couloirs. Pour une fois, ce fut avec un certain plaisir qu'elle se laissa abusée par les escaliers qui l'emmenaient toujours plus loin de son but, la forçant à prendre des chemins plus longs encore et encore. Elle ne croisa personne. Pas un chat, pas un rare. Pas âme qui vive. Pas même un fantôme. Cependant, la perte ne fut pas infinie et l'entrée des cachots apparut bien plus tôt qu'elle ne l'aurait dû. La jeune fille lança un vague regard autour d'elle, brûlant d'espoir de trouver quelque chose qui la retiendrait loin du Royaume des Serpents, mais en vain... Elle n'avait aucune raison d'attendre...

Elle soupira, remonta son sac sur son épaule et en serra fermement la lanière de cuir, comme si elle pouvait la rassurer à défaut de la protéger. Son pied se posa sur la première marche de l'escalier, puis elles se suivirent rapidement. Bonnie déambula dans les couloirs sombres des sous-sols, l'air froid et moite fouettant son visage au fil de ses pas. La porte de la Salle Commune se dessina finalement au bout d'un nouveau couloir, semblable à une grande ombre qui s'étalait sur une partie du mur, ne dénotant pas avec l'atmosphère sinistre et pesante qui régnait dans cette partie du château. En cinq ans, elle ne s'y était jamais fait... Et elle savait pertinemment qu'elle ne s'y ferait jamais.

Un mot de passe et la porte s'ouvrit, silencieuse. A l'intérieur, les élèves de la noble maison Serpentard vaquaient à leurs occupations, aussi diverses que variées, sans faire attention à la nouvelle arrivée. Certains avaient bien levé vers elle un regard dédaigneux, mais elle devait être si indigne d'intérêt qu'ils ne s'étaient pas attardés longtemps sur sa présence, ce qui ne fut pas pour lui déplaire. Ici et là, ses camarades de dortoir parlaient ou lisaient ou encore riaient à des paroles qu'elle n'entendait pas. Elle aurait pu aller d'un pas léger vers ces demoiselles, comme l'aurait fait n'importe qui après cinq ans de vie commune mais ça ne fut pas le cas. La rouquine baissa la tête et traversa la salle d'une allure discrète, presque invisible.

Personne ne l'appela, personne ne la retint. Elle disparut dans l'escalier à la lumière verdâtre qui menait aux dortoirs. Ce n'était pas sans ses habitudes de traîner dans les parties communes de sa maison, elle avait vaguement essayé lors de ses premières semaines ici, mais l'indifférence ou la haine que ses camarades avaient généralement à son égard l'avaient dissuadée de continuer. Ils n'étaient heureusement pas tous comme cela, mais la méfiance avait fait son travail et Bonnie ne cherchait pas à savoir qui elle pouvait côtoyer, ça n'avait plus aucune importance... Une fois dans son dortoir, la jeune fille déposa son sac au pied de son lit et se défit hâtivement de son uniforme, enfilant à la place une pyjama beige à fleurs roses comme il s'en faisait beaucoup une bonne cinquantaine d'années plus tôt, pour ne pas dire plus...

Elle replia soigneusement ses affaires au pied de son lit et alla dans la salle de bain, tout aussi déserte que le dortoir. Elle avait hâte d'en finir avec ce rituel du soir pour s'enfouir sous ses couvertures et échapper à tout contact avec les autres filles de cinquième année, notamment Kathleen Clawson qui la détestait ouvertement. Après s'être brossé les dents, coiffé et attaché sa longue crinière rousse, Bonnie consentit à retourner dans la chambre. A peine eut-elle mis le pied dans le dortoir qu'elle remarqua une silhouette connue et redoutée qui passait la porte de la salle. Elle soupira et traça tout droit jusqu'à son lit, sans un mot...

 

Etonnement, Kathleen ne lui décrocha pas un mot. Elle disparut rapidement derrière la porte de la salle de bain sans faire plus attention à elle. Si ça pouvait continuer ainsi, ce serait probablement la meilleure soirée de sa semaine. La porte de la salle de bain réellement close, Bonnie se pencha par dessus son lit et attrapa son livre d'Histoire, moldue, dans son sac, l'ouvrant rapidement au début du chapitre concernant la Reine Victoria. Elle se plongea rapidement dans sa lecture, confortablement installée contre la tête de lit. Aussi elle ne remarqua pas sa camarade qui sortait de l'autre pièce. Après tout, sa vie ne tournant pas autour d'elle, elle continuait de faire simplement comme si elle était seule, comme si la Vert et Argent n'avait jamais existé. Elle la rappela cependant à l'ordre. La rouquine ne daigna pas relever les yeux de son livre pour répondre.

"Oh non." avoua t-elle sincèrement. "Pas plus que tu ne peux toi-même les salir avec le tien."

Sous entendre, avec raison, que leurs sangs n'étaient en rien différent n'était certainement pas la meilleure chose à faire, elle le savait plus que bien mais espérait toujours malgré les années que le lui rappeler encore et toujours finirait par lui faire comprendre que c'était la vérité. Mais visiblement, c'était peine perdue... Ce que le Choixpeau avait vu dans sa tête le jour de sa répartition, Bonnie n'en avait jamais rien su, mais elle supposait qu'il devait s'agir d'une mort prochaine pour qu'il se décide à l'envoyer dans une telle maison...

Si ses premiers instants à la table des Serpentards lui avaient donné l'impression d'être entourée et d'avoir une chance de se faire de véritables amies avec qui elle passerait son temps à bavarder entre deux cours, les suivants la lui avait reprise aussitôt. Pourquoi personne ne lui avait appris qu'il ne fallait pas dire que ses parents n'étaient pas des sorciers ? Si seulement on le lui avait dit, les choses auraient pu être bien différentes... Sans s'inventer une vie de Sang-Pur, elle aurait pu enjoliver légèrement la réalité en expliquant par exemple que sa mère avait fait ses études dans une école de Magie étrangère, expliquant ainsi que personne n'en ait jamais entendu parlé à Poudlard... C'était un peu tard pour faire machine arrière désormais... Tout le monde était au courant de ses origines, ici bien plus qu'ailleurs, et si certains semblaient n'en avoir que faire, ce n'était malheureusement pas le cas de tous.

Cette pensée ramena toute l'attention de Bonnie sur sa camarade, qui s'était finalement couchée. La première fois, lorsque Kathleen était venue s'asseoir à la table des Verts et Argents quelques minutes après elle, elle s'était imaginé bêtement qu'elles s'entendraient, ou du moins qu'elles se supporteraient pour avoir à partager le même dortoir. Sottises... Elle n'avait finalement pas attendu après, et heureusement d'ailleurs.