Elle avançait sur le quai. Pas rapide, valises qui trainaient derrière. Elle courait presque. Car les minutes passaient, le temps du départ approchait et elle devait sauter dans le train avant qu’il ne soit trop tard. Si le quai se faisait facile à cheminer et que rares étaient ceux qui se montraient encore hors des voitures, ce ne fut pas le cas lors de son entrée à l’intérieur. Encore beaucoup cherchaient une place, discutaient, se déplaçaient. Et dans la cohue habituelle, Opal eut un fin sourire. C’était bel et bien la fin de l’année. Le temps du retour à la maison. De l’été, des vacances et du calme avant le voyage scolaire. Cela faisait six années de ce rituel. La prochaine serait sa dernière et y penser lui donnait déjà un petit pincement au cœur. Mais elle laissait rapidement la réflexion de côté pour reprendre la route et trouver un compartiment où s’installer. Ou plutôt, trouver où son frère s’était installé. Car certainement, depuis qu’il avait rejoint Poudlard, Opal avait maintenant une place presque assurée. Celui-ci arrivait la plupart du temps avant elle et pouvait leur réserver une place.

Dans l’allée comblée d’élèves, elle tentait d’éviter les obstacles. Elle jetait un coup dans chaque fenêtre, mais se doutait bien qu’elle devrait avancer un long moment. Les dernières voitures étaient souvent celles qu’ils prenaient pour s’asseoir. Et son pas pressé trahissait sa hâte de retrouver son petit frère et en apprendre plus sur ses aventures de cette année. Elle avait tant à lui demander et elle voulait s’assurer qu’il allait bien. Elle savait au moins qu’il ne s’était pas retrouvé dans les mêmes genres de problèmes qu’elle et elle en était contente. Elle espérait que tout allait bien malgré tout pour lui. Elle avait confiance en ses capacités, sa responsabilité. Il savait se débrouiller seul. Mais ce n’était pas une assez bonne raison pour qu’elle le laisse à son compte. Oh non. Opal avait toujours son mot à dire et sa présence à imposer. Enfin, normalement.

Ce fut une année difficile pour la Gryffondor. Si elle avait tenté d’être sa nonchalante et joyeuse personnalité, elle n’avait pas pu empêcher les inquiétudes de l’affecter. Des premiers mois où les insécurités l’assaillaient. Sa rencontre avec le concierge l’avait cependant beaucoup aidé à réaliser qu’elle n’était pas enchainée dans ses décisions de fin d’années. Et elle avait eu des amis pour la soutenir, ce qui avait grandement aidé.

Puis, il y avait eu sa dégradation vers les aciers. L’injustice qu’elle avait ressentie. Les retenues et l’empêchement de parcourir le château facilement. Ses explorations s’en étaient vues à un minimum et encore, presque impossibles. Un point positif qu’elle avait pu trouver était ses compagnons chez les aciers. Des élèves de toutes les maisons qui se retrouvaient dans le même contexte. C’était une expérience différente, pas tout à fait agréable, mais ceci avait au moins eu son point d’intérêt. Opal avait été contente d’avoir avec elle des têtes qu’elle connaissait bien, comme Maxwell par exemple.

Les réflexions filaient dans sa tête tout comme ses pas dans le train qui annonçait son départ imminent. Et voilà qu’elle trouvait afin celui qu’elle cherchait. Ouvrant la porte, l’exclamation joyeuse quitta ses lèvres sans attendre :

– Jasper ! Je suis tellement contente de te voir ! Et elle l’attrapa dans ses bras, comme elle aimait le faire. D’un air taquin et amical. Je suis vraiment triste de n’pas avoir pu t’énerver autant cette année. J’espère que t’en as profité, ha ha !

Elle le disait à la blague, mais au fond, ça l’affectait quand même de ne pas avoir pu être présente pour son frère. Elle aurait voulu. Pourtant, elle avait été prise dans ses inquiétudes et dans les problèmes d’école. Si ce n’était pas déjà assez, elle avait dû se voir priver de la plupart de ses privilèges plus l’année avait avancé.  

– Comment ça va ? reprit-elle, le sourire s’étirant sur ses lèvres doucement. Elle sentait enfin qu’elle reprenait le contrôle sur sa vie. Après avoir été entrainé dans une myriade de changements dans son quotidien cette année. Ici, dans ce train pour le retour à la maison, elle savait à quoi s’attendre. Personne ne pourrait les empêcher de discuter, de faire le point, de s’amuser et de se taquiner comme elle aurait dû faire toute l’année. Et elle voyait avec plaisir que Jasper souhaitait aussi lui parler.

Prendre son frère entre ses bras lui donna une impression de réconfort et qu’enfin, ils étaient de retour à la réalité. Sa réalité. Celle dont elle avait l’habitude et qui lui avait manqué. Qu’on lui avait enlevé durant l’année et qu’elle appréciait retrouver. Sa normalité. Elle était contente de savoir qu’elle avait son frère de son côté. Ça lui faisait du bien de prendre conscience qu’elle n’était jamais vraiment seule, même si elle avait tendance à garder ses inquiétudes sous silence. Elle ne voulait inquiéter personne, mais en cas de besoin, ils étaient là. Elle pouvait compter sur eux et ça importait plus que tout.

Elle sentit que le changement cette année avait affecté Jasper. Lui qui était capable de très bien se débrouiller, elle savait, mais qui avait aussi l’habitude d’avoir sa sœur dans les parages. Opal qui aimait se mêler un peu de tout, s’assurer que tout allait bien. Elle qui ne laissait jamais son frère ou sa sœur livrés à eux-mêmes. Au moindre problème, ils savaient qu’elle était là, prête à les aider s’ils le demandaient, s’ils en ressentaient le besoin. Mais cette année, elle n’avait pas pu être aussi insouciante, aussi présente. Elle s’en voulait et elle en voulait à la direction d’avoir créé cette situation. C’était injuste. Elle savait ne pas être la meilleure élève. Les retenues, elle connaissait bien. Mais cette fois, elle s’était sentie hors de contrôle. Elle allait prendre l’été pour se ressaisir et commencer la prochaine — la dernière — du bon pied.

– Je dois vraiment améliorer mon jeu alors. Il ne faudrait pas que tu te sentes obligé de me rejoindre chez les aciers !

Elle le disait avec une touche d’amusement. Pour minimaliser les choses. Pour se convaincre aussi que l’année suivante allait se passer différemment. Mais il n’en était pas moins qu’il y avait une touche de sérieux. Elle espérait vivement que ce ne serait pas la même année qui allait se répéter.

– Tu sais, l’année était assez… décevante ? J’ai eu l’impression que plus ça avançait et moins j’avais le droit de faire quoi que ce soit. Les retenues et les devoirs supplémentaires, je m’en serais bien passée pour être honnête.

Une légère moue apparut sur son visage. L’année avait aussi mal commencé qu’elle avait terminé, lui semblait-il. Au moins, ça allait mieux maintenant qu’elle était dans le train. En route vers la maison. L’été qui commençait. Pouvoir se reposer, se ressourcer. Elle en avait bien besoin. C’était une des rares fois où les murs de Poudlard lui avaient semblé si étouffants.

– Au moins, il y avait des gens sympas avec moi. Alors dans les dortoirs, c’était pas si mal.

Il y avait quand même quelque chose d’intéressant dans le fait d’avoir été avec des gens de toutes les maisons. Des étudiants avec qui elle n’avait pas l’habitude de passer ses soirées. Car il fallait bien voir le bon côté des choses. Le plus possible. En haussant les épaules, elle s’avança — parce qu’elle était toujours dans l’encadrement — pour prendre place dans la cabine. S’installer plus confortablement pour le retour à la maison. Pour discuter tranquillement et partager les nouvelles de cette année.

Parfois, lorsqu’Opal regardait son petit frère, elle constatait à quel point il avait grandi. Qu’il pouvait se débrouiller seul maintenant, et si elle n’était jamais bien loin — normalement — elle savait très bien qu’il n’avait pas complètement besoin d’elle. Qu’il faisait ses propres choix, ses propres découvertes. Quelque part, elle était fière d’avoir un frère comme lui. De l’autre, elle se disait qu’elle aimait toujours autant s’imposer dans sa vie et savoir ce qu’il y avait de nouveau pour lui. Et c’était le temps de se rattraper.

Elle avait parlé un peu de son expérience cette année et avait échangé sur les politiques de l’école, qui tirait souvent une moue à la Gryffondor tant c’était instable. D’une année à l’autre, on ne savait jamais ce qui allait se passer. Quelles seraient les règles et quels seraient les problèmes. Une année tranquille à Poudlard était beaucoup trop demandée, semblait-il. Elle espérait surtout que les années se dérouleraient sans trop d’anicroches pour le reste de la fratrie, une fois qu’elle aurait quitté les bancs d’école. Car c’était bien la dernière chose qu’elle voulait, de voir un malheur leur tomber dessus sans qu’elle ne soit présente pour les aider et les défendre en cas de besoin. Si Opal n’était pas très impliquée, cela ne signifiait pas qu’elle laisserait qui que ce soit s’en prendre à sa famille.

– Je me demande parfois où ils sont passés, moi aussi, ces grands sorciers. Est-ce que c’est juste l’embellissement de la vérité ? Des fois, c’est à se demander, répondit-elle avec une certaine nonchalance, mais tout de même une touche de curiosité.

Puis, elle laissa un sourire étirer ses lèvres. Sourire à moitié amusé et à moitié compréhensif. Peut-être une touche de ses inquiétudes de l’année parsemait aussi la commissure de ses lèvres.

– Ce n’est pas facile de choisir, c’est certain. Mais souviens-toi qu’il ne faut pas trop s’en faire. Que nous avons encore un long chemin à tracer et qu’on peut changer d’avis si notre premier choix ne nous convainc plus. C’est ce qu’on m’a appris cette année. Et ça m’a beaucoup aidé à passer au travers le stress de la fin des études. Et c’est certain que je vous enverrais des hiboux pour tout vous raconter !

Elle ne pensait pas qu’elle en parlerait si facilement à Jasper. De ses inquiétudes, de ses réflexions. Elle survolait en ce moment, en parlait de façon légère, mais c’était quand même une vérité qu’elle avait cherché à cacher à tous durant l’année scolaire. Mais après discussion, elle avait pris conscience qu’elle ne serait pas enchaînée aux décisions qu’elle ferait l’année suivante. Et elle ne voulait pas que Jasper passe par les mêmes inquiétudes. Alors, pourquoi ne pas lui en glisser un mot tout de suite ?

– Mais assez parlé de moi ! Je veux en savoir plus sur ton année ! Je sais que je suis un peu tard, mais s’il y a quoi que ce soit, tu peux m’en parler. Est-ce que tu as eu des questionnements que tu aurais voulu me partager cette année ? Ou des nouveautés que j’ai manquées ? La parole est à toi !

Le rire — naturel enfin — quitta ses lèvres. Contente de pouvoir se concentrer sur ce que son frère voudrait lui raconter, sur ses expériences de l’année. Elle lui renvoyait la balle et attendait maintenant avec presque impatience qu’il lui raconte quelques anecdotes. En espérant qu’il y ait eu du positif pour lui cette année.