Londres, à deux semaines de la rentrée. Il y avait comme une odeur de fin de vacances dans l'air, ce qui n'était absolument pas pour me déplaire. Depuis un moment, je comptais les jours qui me séparaient de Poudlard. La vie à Londres était ennuyeuse lorsque l'on n'avait rien de particulier de prévu pendant ces deux mois interminables. Il ne me restait plus longtemps à tenir désormais, et le temps légèrement couvert me rappelait que l'été n'était pas éternel.

Ce jour là, je m'étais levée tard. Cela faisait un bout de temps que ça ne m'était pas arrivé. Pourtant, mes escapades nocturnes de vacances, c'est-à-dire celles où aucun préfet n'était là pour me forcer à rejoindre mon dortoir, me conduisaient souvent à entamer ma nuit de sommeil avec pas mal de retard. Ca ne m'empêchait jamais de me lever tôt. Le manque de sommeil était une sensation que je ne connaissais presque pas, et ce depuis toute petite. Pourtant, là, mon corps avait eu besoin de récupérer, et les températures favorables l'y avaient aidé.
Aujourd'hui, c'était l'avant-dernier jour de solitude à la maison. Ma mère rentrait après-demain de sa petite cure bien-être. Ma solitude, je l'adorais. Je savais qu'avec ma mère à la maison, c'en serait fini de mes escapades nocturnes, de mon rythme décousu de repas et de sommeil. Il me restait deux jours pour en profiter et pour ça, je m'étais préparé un petit programme.

Je sortis un petit papier de ma poche. Je l'avais retrouvé dans un sac il y a quelques jours et, croyez-moi, son existence avait ravivé en moi une envie : celle de confectionner une potion. Ce papier, je l'avais écrit rapidement, presque à l'aveuglette, une des seules fois où j'avais réussi à atteindre la réserve de la bibliothèque de Poudlard pendant plus de 10 minutes. Charli, le chef des lieux, avait dû me laisser un peu de répit, et j'en avais profité. J'avais réussi à dénicher - totalement par hasard - la recette de la potion Felix Felicis, celle qui donne de la chance. Sa confection est totalement légale, mais doit être très surveillée car un mauvais dosage et le résultat pouvait s'avérer catastrophique. Rien d'étonnant à ce que l'on cache cette recette à des étudiants soucieux de réussir leurs examens. A des étudiants respectueux du règlement du moins.

Pour cette recette, j'avais besoin de me procurer des ingrédients très difficiles à obtenir en dehors du marché noir. Il me fallait tenter l'Allée des Embrumes, le tout pour le tout, le seul recours possible. Je m'y lançais donc. Avant de pénétrer dans la ruelle, j'avais pris soin de regarder derrière moi. Il était très mal vu de fréquenter cette partie du Chemin de Traverse, et il ne fallait pas y séjourner bien longtemps pour savoir pourquoi. Je me demandais comment tous les rebus de la société pouvaient bien se retrouver dans un endroit aussi proche de là où les enfants vont chercher leurs affaires scolaires... Quoiqu'il en soit, je me contentais de marcher droit devant moi, d'un pas plutôt assuré : le meilleur moyen de se fondre dans la masse, selon moi. Des gens étranges zonaient et passaient sans doute leur journée à dévisager les personnes qui passaient à côté d'eux. Je prenais le soin de les regarder en passant, de mon regard froid naturel, ce qui avait tendance à les énerver ou bien à les faire rire, selon les syndromes dont ils étaient atteints. Malgré l'assurance que je voulais me donner, mes pas étaient rapides et je ne souhaitais pas m'attarder dans le coin. Je recherchais juste un apothicaire qui pourrait me vendre des tentacules de Murlap et un oeuf d'Occamy.

Arrivée à un croisement, je pris un peu le temps de réfléchir. J'étais déjà venue dans l'Allée des Embrumes, mais je ne savais pas s'il était déjà temps de tourner à gauche ou si c'était à la prochaine. En regardant rapidement sur ma gauche, justement, je croisais un regard familier. Je mis un temps avant de reconnaître Prudence, tant je ne m'attendais pas à croiser cette fille ici, aujourd'hui. Et n'importe quel autre jour d'ailleurs. Prudence, la petite Gryffondor dont m'avais vaguement parlé Dale. Une fille apparemment studieuse et droite. Ici. Je restais un peu déconfite face à cette rencontre improbable et mis un temps avant de répondre à ses salutations. Mes yeux se plissèrent et je réfléchis à toute allure à ce que j'allais bien pouvoir prétexter pour que ma présence ici se justifie. Après tout, à Poudlard, mon frère avait été accusé - à tord - d'être un apprenti Mangemort sous Blackman, les liens se faisaient assez rapidement dans des cas comme ça...
Je regardais un peu aux alentours pour voir si elle était seule ou accompagnée d'autres personnes. Un sourire faux et quelque peu crispé - je n'avais que ça en réserve - se dessina sur mon visage.





Mon ton était ironique, évidemment. Il était rare que je sois heureuse d'avoir des liens sociaux, mais là, c'était certainement la pire situation possible. N'aggravons pas la situation, pensais-je.




Ca, c'était vrai par contre. Je pense que n'importe qui, à Poudlard, aurait été plus étonné de voir Prudence dans l'Allée des Embrumes, que moi. Et pourtant...




Bon, fallait en vouloir pour s'égarer dans un endroit pareil. Mais comme je m'imaginais vraiment mal Prudence se lancer dans la magie noire, l'hypothèse de la jeune fille qui se perd sans s'en rendre compte dans un endroit aussi sordide était plausible.

En l'espace de quelques secondes, je pus constater que Dale avait bien raison lorsqu'il me parlait de Prudence : cette jeune fille est imperturbable et d'une tolérance assez remarquable. C'était très rare lorsque mon interlocuteur ne réagissait pas à mes provocations. Selon les caractères, on renchérissait ou au contraire, on se laissait dominer. Mais peut-être que le contexte tendu du lieu avait raison de nos réactions.

D'ailleurs, je constatais vite que Prudence n'était pas en confiance et surveillait les alentours avec précaution. D'un coup, un léger rire sorti du silence, et les yeux de la jeune femme se fixèrent sur sa provenance. Sans tourner la tête, j'observais à mon tour ce que mon champ de vision me laissait apercevoir, les yeux légèrement plissés. Les choses se passaient rapidement par ici. Un simple ricanement pouvait vite devenir un message de rassemblement.

Prudence emboita le pas, et je la suivis. Il ne valait mieux pas rester sur place trop longtemps, de toute évidence. Je tournais légèrement la tête pour prêter plus d'attention aux autres sorciers et compris rapidement qu'ils étaient nombreux à nous surveiller. Les deux demoiselles que nous étions attiraient beaucoup trop l'attention. A chaque pas, je restais aux aguets, les yeux fixés sur chaque mouvement autour de nous et les oreilles à l'affût d'un éventuel bruit suspect. Nos pas ne nous menaient pas dans un endroit familier, je me forçais donc à retenir l'itinéraire que nous empruntions pour pouvoir sortir de la facilement, le moment venu.
Notre conversation reprenait peu à peu. Prudence cherchait donc quelque chose. Elle n'était pas là par hasard, bien au contraire. Etonnant. Il fallait être très motivé par ses objectifs pour se retrouver dans l'Allée des Embrumes. Ceci dit, la question m'était retournée, évidemment.





Bon, mon ton ironique n'était pas très propice aux fous rires sur cette boutade, mais l'objectif était tout de même de détendre un peu l'atmosphère. Je laissais un léger sourire se dessiner sur mon visage, pour souligner l'absurdité de cette réponse, puis reprenais :





Bravo Rachel, pas de mensonge. Cependant, je savais que l'apothicaire en question n'était pas dans ce coin-là. Il était trop tard pour faire demi-tour désormais. Des bruits de pas se faisaient entendre derrière nous. Rien de bien alertant en temps normal, mais ici, il vallait mieux être prudent. Je sortis discrètement un petit miroir de ma poche et fis mine de rectifier mon maquillage pour pouvoir regarder derrière nous de manière innocente. Trois sorciers marchaient à environ 4 mètres de nous, lentement. Rien d'affolant en soi, mais il était préférable de disparaître un peu, pour calmer tous les esprits, y compris les nôtres.




J'aggripais vivement le bras de Prudence pour l'entraîner dans la toute petite ruelle tout de suite à notre droite. Disparaître maintenant. Il fallait trouver un moyen de s'extirper du champ de vision de nos éventuels suiveurs au moment où ils atteindraient la ruelle en question. Pour cela, la seule solution était de pénétrer dans ce qui semblait être un accès à une arrière-boutique. Sans réfléchir, je saisis la poignée de la porte qui - par miracle - n'était pas verrouillée et la refermais derrière nous. Noir total. Mais j'étais tout de même plus rassurée dedans que dehors. Je respirais un grand coup, pour reprendre mes esprits et me décidais enfin à lâcher le bras de Prudence, à qui j'adressais un sourire dans le noir. Un sourire de pression qui retombe.




Ca, c'était typiquement le genre de réplique cinglante qui, au fond, cachait un compliment. Une manière à moi de dire Je suis agréablement surprise d'être en ta compagnie pour cette aventure divertissante. Mais non, chez moi tout était piquant, en permanence.
L'aventure était agréable pour moi qui adorait les interdits et les jeux de chats et souris, mais nous devions rester concentrées : nous étions actuellement dans le noir, dans une potentielle arrière-boutique au coeur de l'Allée des Embrumes pour échapper à des types louches aux regards lubriques.

Dans ce léger et court moment de calme, j'en profitais pour observer ma camarade. Mes yeux s'habituaient progressivement à l'obscurité et je pouvais discerner le visage de Prudence. Dans un sens, elle m'épatait un peu. Je pense que j'avais une idée assez préconçue du genre de personne qu'elle pouvait être. Poudlard et son système de maisons n'aidait pas à nous délivrer des préjugés que l'on se créait autour des gens. La petite Gryffondor aux yeux clairs et à l'allure fragile, souvent souriante, toujours douce (de ce que l'on me disait). Bref, une fille sans intérêt, amoureuse du règlement et dont l'ambition était de se trouver un petit copain charmant pour briller au bal de fin d'année ou à la soirée de la Saint Valentin. Voilà ce que j'avais décidé de Prudence, avant ce jour. Les événements en cours me montraient une tout autre facette d'elle que je n'aurais pas soupçonnée : malgré ces péripéties peu rassurantes, Prue gardait un sang-froid et une attitude positive à toute épreuve. Elle faisait preuve de courage et de témérité tout en conservant un humour naturel. Je n'irais jamais jusqu'à dire que je l'appréciais, mais elle avait en tout cas le mérite d'attirer un peu mon attention.

Pourquoi chercher la simplicité ? J'écoutais ses mots avec une attention inexplicable. J'avais plutôt tendance à ne pas porter d'importance aux histoires des autres. Parce qu'elles ne m'apportaient rien, certainement. Mais Prue était assez difficile à cerner finalement, et sa présence ici, dans le coin le plus malfamé de la ville, continuait d'attirer mon attention. Il faut dire aussi que la jeune Gryffondor s'était bien gardée de me révéler l'exact raison de sa ballade dans l'Allée des Embrumes. Ceci dit, moi aussi. Je souhaitais la questionner quand un bruit sourd retentit. La pression remonta d'un seul coup et la réalité me rattrappa. D'un mouvement sec, je m'accroupis sur le sol, dans l'espoir d'être moins visible si quelqu'un venait à entrer dans cette pièce, ma main posée sur la poche arrière de mon pantalon, dans laquelle se trouvait ma baguette. Qu'aurais-je fait si quelqu'un était entré ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais le réflexe était là, tout aussi inutile soit-il.

Un objet en verre venait de se briser dans la partie boutique de l'établissement. Rien d'alarmant si ce n'est que mes pensées s'arrêterent pour me faire revenir à la réalité. Nous n'étions pas encore sorties d'affaire et ne savions même pas dans quelle boutique infâme nous avions potentiellement atterris. Après quelques secondes de silence sans le moindre mouvement, je me retournais doucement vers Prudence.






Je me relevais doucement, lâchant progressivement le morceau de bois gentillement rangé dans ma poche. Pour la première fois, je décidais d'examiner un peu les lieux. La pièce dans laquelle nous étions était plutôt petite : pas plus de 20 mètres carrés. Une large table trônait fièrement au milieu de la pièce, remplie d'objets en tout genre que je n'arrivais pas à bien identifier dans le noir, malgré mon adaptation progressive à l'obscurité. Des étagères très hautes remplissaient les murs et contenaient elles-aussi diverses babioles. La quantité d'objets dans cette pièce était incroyable.






Je posais mes yeux sur les étagères, remarquant des objets assez redoutables en apparence. Un livre avec un oeil menaçant posé sur la tranche, surmontée de dents fines et pointues ; des fleurs noires entourées de lianes d'épines qui bougeaient lentement à la manière d'un serpent ; un grand aquarium vide d'eau mais qui semblait contenir des volutes de fumée noire en mouvement ou encore une main humaine - que j'espérais fausse évidemment - posée sur un petit présentoir, comme si elle attendait qu'on la touche... C'est en regardant le plafond que je compris où nous étions : un immense serpent d'au moins 6 mètres de long était suspendu à trois mètres de nos têtes. Pétrifié très certainement, la gueule grande ouverte laissant apparaître ses deux immenses crocs mortels.






Bon, clairement : la situation aurait pu être mieux. Cette boutique avait longtemps été un repère de Mangemorts. C'était de cette manière que certains d'entre eux avaient pu pénétrer à Poudlard, grâce à une armoire à disparaître reliant la boutique à la salle sur demande. Tout le monde connaissait cette histoire et, je dois l'avouer, je ne pensais pas un jour mettre les pieds dans un endroit aussi sombre que célèbre de par la trace qu'il a laissé dans l'Histoire. J'en étais à la fois un peu effrayée, mais aussi incroyablement fascinée.

Je regardais avec attention tous ces objets incroyables qui s'étendaient dans une si petite pièce. Effectivement, il valait mieux ne pas se promener ici sans aucune visibilité, sous peine de se faire attrapper, mordre ou brûler par l'une de ces antiquités maléfiques qui jonchaient même le sol à certains endroits. Une longue boîte transparente attirait mon attention sur la longue table. Pour mieux l'observer, je m'accroupis juste devant. A l'intérieur, une dizaine de tous petits serpents cornus, sans doute très jeunes, nageaient allègrement dans une très faible profondeur. Ces créatures étaient particulièrement recherchées pour leurs cornes qui entraient dans la conception de nombreuses potions mais aussi dans la conception de certaines baguettes. Pas étonnant que ce soit le genre d'élevage que l'on puisse trouver au marché noir.

Juste à côté, sans y faire attention, je venais de poser ma main sur un parchemin poussiérieux et gras. Mes yeux s'attardèrent dessus car la température du papier avait changé : le parchemin devenait de plus en plus froid. Un visage se dessina doucement sur le papier, à la vieille encre noire, légèrement gris. Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je reconnu le dessin. Un croquis du visage d'Alek - mon grand frère - apparut et me regardait doucement. Ma respiration se coupa le temps d'un instant. Quel maléfice pouvait bien faire apparaître ce visage sur ce parchemin ? Etait-ce un message ? Un avertissement ? Je ne connaissais pas du tout ce genre d'objet et ne comprenais pas très bien les secrets qu'il semblait réveler. Je réfléchissais à toute vitesse jusqu'à ce que la voix de Prue me parvint aux oreilles. D'un geste rapide et furtif, je saisis le parchemin et le plongeais dans ma poche, avant de me redresser pour voir l'objet dont parlait Prudence.




La petite avait l'air d'être assez calée en Histoire de la Magie. Son sang-froid était à récompenser. Sans la connaître en détail, il était évident qu'un endroit comme celui-ci n'était pas fait pour elle. La Gryffondor avait l'air d'être une personne engagée qui se sentait concernée par le bien-être de ses camarades et de ses semblables. Je ne savais pas où elle s'était située pendant l'affaire Blackman, mais je l'imaginais probablement avoir rejoint la résistance, s'être battue comme elle le pouvais pour défendre les intérêts des opprimés. C'était ça que je m'imaginais désormais. Nous étions bien différentes, elle et moi.

Je n'étais pas particulièrement habituée à ce genre d'endroits malfamés et emprunts de magie noire, mais je dois avouer que j'étais quelque peu fascinée. Cela me rappelait fortement mon escapade dans la réserve de la bibliothèque de Poudlard, lorsque j'ai eu l'occasion de feuilleter des manuels étranges qui parlaient de sorciers méconnus - ou de moins que l'on voulait méconnaître - qui avaient accompli de grandes choses, mais rarement de manière très légale et très humaine.


Du mouvement à côté, c'était peu de le dire ! Je me figeais là où j'étais, mes yeux froids rivés sur la porte qui menait à la boutique, juste derrière Prudence. Des éclats de voix retentissaient de l'autre côté. Une voix masculine et une voix féminine tentaient de prendre le plus d'espace possible. Tout était crescendo, mais étouffé par le large mur de pierre et certainement par un sortilège. Les gérants de cette boutique devaient sans doute faire en sorte que la discrétion soit de mise entre ces murs. Prudence me regarda, et j'en profitais pour saisir ma baguette. Même si la dispute naissait certainement du verre brisé entendu il y a deux minutes, le bruit des voix laissait désormais la place à un vacarme plus... matériel.




Je reculais doucement en direction de la porte que nous avions empruntée il y a un moment, pour nous cacher d'un potentiel autre danger. J'étais en alerte et mon coeur battait à grande vitesse dans ma poitrine. Je fixais toujours des yeux la porte qui nous séparait du vacarme, en gardant Prudence également dans mon champ de vision.

Tout s'était passé si vite. Je me méfiais de l'ouverture potentielle de cette maudite porte, mais je ne m'attendais pas à la voir s'ouvrir à la volée à cause de la chute spectaculaire d'un sorcier. Tout mon corps avait réagi : je faisais un bond de côté. C'était à la fois un sursaut, mais aussi un potentiel regain d'instinct de survie. Mon dos s'appuyait désormais contre l'une de ces larges étagères, blindée d'objets dangereux en tout genre. Ma main serrait ma baguette très fort : je devais certainement avoir l'empreinte du bois et tous ses détails gravés dans le creux de la paume. Des parchemins en tout genre volaient dans tous les sens et un épais nuage de poussière stagnait encore au milieu de la pièce.

La voix de Prudence éclata alors au milieu de la pièce et je ne réfléchis pas plus longtemps à son message : instinctivement je m'accroupis au sol en protégeant ma tête de mes mains, sans même savoir d'où allait arriver le projectile. Le sortilège de ma coéquipière de galère m'enveloppa alors d'une chaleur agréable et le son tout autour de moi s'atténua légèrement le temps d'un instant. Est-ce que la petite venait de me sauver d'un évanouissement certain ? Je pense bien que c'était le cas, effectivement. Pas le temps cependant de la remercier sur le moment, il fallait agir, car la situation était critique.

J'étais, certainement comme Prue, dans un de ces moments ou le cerveau fonctionne en semi-automatique. Les actions ne sont plus tout à fait réfléchies, mais elles s'enchaînent à grande vitesse. Pas le temps d'analyser la scène, il fallait agir et vite. Lorsque l'homme propulsé dans les airs se releva, il se rua sur son agresseur sans même nous remarquer. C'est là que la jeune Gryffondor vint se jeter sur moi pour me relever.




Je n'étais pas douée pour les remerciements, de base.
Prue ouvrit la porte qui nous avait précédemment menée à ce que avait été pendant quelques minutes notre refuge. La lumière me fit plisser les yeux et me permit de me rendre compte de l'étendue des dégâts dans la pièce. De nombreux accessoires et objets magiques en tout genre jonchaient le sol, dont la fameuse main de la gloire, qui n'attendait que de saisir le pied d'une personne qui passerait trop près d'elle. Une fois à l'extérieur, je refermais soigneusement la porte et soufflait un grand coup, tout en passant la main dans mes cheveux indisciplinés pour qu'ils retrouvent leur couleur d'origine, sans poussière.





Un léger sourire narquois apparaissait sur mon visage et je levais doucement les yeux vers ma coéquipière. Seulement, elle ne semblait pas encline à plaisanter de la situation tout de suite. Et pour cause : ses yeux étaient rivés sur un point juste derrière moi. Ni une ni deux, je me retournais, baguette en avant pour me préparer à identifier ce qui l'effrayait. Un homme grand et mince, le visage émacié et couvert de griffures se tenait à trois mètres de moi. La poussière blanche sur sa robe noire me permettait de comprendre rapidement d'où il venait et pourquoi il pointait sa baguette sur nous.

Je lui lançais un regard noir, sourcils froncés et reculait très lentement, vers Prue, à qui je tournais donc le dos. L'homme souriait de manière machiavélique et nous offrait le magnifique spectacle de ses dents noircies ou jaunies. Il avançait à la même allure que je reculais, d'un air menaçant. Il fallait agir, sans quoi nous ne ressortirions jamais de cet endroit. L'Allée des Embrumes et le Chemin de Traverse juste à côté étaient de véritables nids à sorciers ayant atteint l'âge légal pour utiliser la magie. Peut-être qu'un sortilège parmi tant d'autre passerait inaperçu aux yeux du Ministère ? Et s'il fallait que je sois sanctionnée pour mon acte, qu'importe, je préférais sans doute le Ministère à cet énergumène menaçante.




Ma baguette me chauffa immédiatement la main et cracha de longues cordes épaisses qui s'enroulèrent très rapidement autour de l'individu. Il eut cependant le temps de me lancer un sortilège avant que son bras ne soit saucissonné par les cordes. Une grosse lueur verdâtre me frappa, me projetant à un mètre en arrière et ma baguette m'échappa sans que je ne puisse rien faire. Elle s'envola plus loin encore et retomba lourdement sur le pavé noir de l'Allée. Un Expelliarmus. Qui sait ce que ce sorcier aurait pu faire de pire. L'immobiliser un moment était la seule chose que je pouvais faire pour nous laisser une chance de fuir. Je n'étais qu'une étudiante qui entrait en sixième année à Poudlard face à un sorcier adulte adepte de bagarre chez Barjow et Beurk...
Ma chute était quelque peu douloureuse, surtout à l'atterrissage. Allongée sur les pavés, je me retournais rapidement pour chercher ma baguette des yeux. Je la vis juste à quelques mètres derrière et me relevais le plus rapidement possible, malgré la douleur de mon dos, pour espérer la récupérer.




L'homme était immobilisé pour quelques secondes seulement. Ce genre de sort n'était définitivement pas efficace contre des sorciers expérimentés. Cela nous laissait tout de même un petit temps pour espérer prendre la fuite de l'autre côté de la rue, en direction de ma baguette au sol.

A ce moment là, la situation était critique. Avec ou sans expérience, un sorcier sans baguette au milieu d'un combat était en grande détresse. La mienne venait de s'échapper et les choses venaient tout juste de commencer. C'est pourquoi, le plus rapidement possible, je passais d'allongée sur le dos à à plat ventre pour me retrouver à quatre pattes et m'élancer de toutes mes forces pour me relever. La voix de Prudence résonna dans l'air et je me figeais une demi seconde, pour me retourner et voir ce qu'il se passait. Elle nous faisait gagner du temps, et c'était franchement bien joué car l'homme qui nous menaçait semblait se libérer rapidement de l'emprise de mon sortilège.

L'action de ma camarade était une réussite, fort heureusement pour nous. Il fallait donc agir vite pour conserver ces minuscules secondes d'avantage. Prue emboîta le pas et je la suivis rapidement. Je me rapprochais vite de ma baguette et la saisis à la volée, dans un léger dérapage pour pouvoir rapidement prendre la rue adjacente. Mon coeur battait à une vitesse folle à travers ma poitrine, comme s'il allait se décoller. L'adrénaline me donnait cependant des ailes et il en était de même pour ma compagne de galère. Jamais je n'aurais pensé que Prudence puisse surmonter de manière aussi courageuse ce genre de situation. Je devais bien avouer que la petite m'impressionnait. Moi qui, d'habitude, adorait mettre les gens dans des situations inconfortables, je devais avouer que je n'aurais pas pu penser à mieux que ce que nous proposait déjà l'Allée des Embrumes. Prue montrait cependant des réflexes qui faisaient largement pencher la balance de notre côté. Elle était un bon atout, qui savait garder son sang-froid et saisir les opportunités au bon moment. Je n'aurais pourtant pas spécialement parié sur elle au premier abord. Comme quoi, les gens peuvent nous surprendre en très peu de temps !

D'ailleurs, peu de temps, c'est finalement ce qu'il s'était écoulé entre l'échange de nos premiers mots - froids pour ma part - et ce moment-là, où nous nous retrouvions toutes les deux adossées à un mur en pierre à tenter de reprendre notre souffle le plus rapidement possible. On ne se connaissait que de vue jusqu'à ce moment là où nous partagions désormais une certaine forme de solidarité et d'entraîde pour s'échapper toutes les deux - ou rien - de cet enfer. Car je l'avais compris à ce moment précis : Prue ne me laisserait pas derrière, et je suis à peu près sûre que j'en serais incapable également. C'est dingue, ce genre de chose naissait de nulle part. C'était sans doute la seule personne de Poudlard envers qui je témoignais d'une forme de loyauté. Peut-être aussi parce que c'était la seule personne avec qui je vivais un danger assez conséquent, en terrain hostile.

Prudence avait raison. Nous n'étions pas sorties d'affaire puisque nous n'étions finalement qu'à quelques mètres de notre assaillant. Il fallait réagir rapidement. Je décollais donc ma tête du mur et observais d'un coup d'oeil la ruelle dans laquelle nous étions engagées. J'avais beau connaître quelques recoins de l'Allée des Embrumes, la panique donnait une nouvelle configuration aux lieux. Mais il fallait tout de même tenter de trouver une situation moins pire qu'actuellement.






Certes, cette décision ne nous avait pas porté chance la première fois, mais elle était cependant redoutable pour semer d'éventuels assaillants. De plus, trouver du monde serait peut-être un moyen de ralentir l'agressivité de certains. Je ne misais absolument pas sur l'éventuelle protection des autres fréquentards de ces lieux, mais au moins sur le doute que pouvait faire naître la présence d'autres personnes quant à l'agression de deux demoiselles.

J'invitais donc Prue à prendre la première porte qui se présentait à nous dans cette allée. La porte sombre n'était évidemment pas accueillante, comme toutes les autres portes de cet endroit, mais au moins, on pouvait distinguer une lumière à travers la vitre sale. Pour une fois, donc, nous rentrions par la porte principale, qui s'ouvrit sans surprise. Un léger brouhaha se faisait entendre, au bout d'un petit couloir miteux. Je ne pourrais pas expliquer davantage pourquoi cet endroit me paraissait être sécurisant. Peut-être parce qu'il semblait être le moins pire de tous. Je lançais un regard à Prudence, et m'avançais doucement vers la lumière et les voix calmes et enjouées du bout du couloir. Une fois arrivée, je constatais avec surprise l'endroit où nous nous trouvions. C'était une taverne. Bien plus miteuse que le Chaudron Baveur du Chemin de Traverse, beaucoup moins bien fréquenté, puisque la plupart des sorciers présents semblaient manigancer le retour d'un quelconque Seigneur des Ténèbres, mais cependant bien plus rassurant - bizarrement - que la remise de chez Barjow & Beurk ou encore les dents de notre précédent assaillant.

Pour une fois, personne ne semblait remarquer notre présence. L'éclairage était sommaire, on n'y voyait finalement pas grand chose. Un lustre de bougies faisait dégouliner de la cire rougeâtre sur le sol, et quelques autres bougies coincées dans des goulots de bouteilles vides traînaient par-ci par-là sur les tables miteuses en bois noir, sans doute gorgé d'alcool. Les gens étaient assis sur des petites tables carrées, dispersées dans toutes la salle, sur notre gauche, à bonne distance les unes des autres. Certains poivrots dans un état d'ivresse assez avancé tentaient de tenir sur leur chaise haute contre le bar.






Je rangeais discrètement ma baguette tout en la gardant très accessible et tournais mes yeux vers Prudence. Mon idée était tout de même de remplacer un risque par un autre. Même si tout semblait tranquille dans ce bistrot, on restait dans un endroit malfamé, autour de sorciers répugnants.

Mon coeur serré commençait progressivement à se détendre. Tout comme Prue à ce moment-là, je restais sur mes gardes. Rien n'était gagné et même si l'endroit était sans doute l'un des plus calmes que nous ayons trouvé jusque maintenant, il ne ferait office que d'un abri provisoire. Tôt ou tard, nous serions contraintes de quitter les lieux pour ne pas attirer davantage l'attention. D'autant plus que notre poursuivant n'était pas semé pour de bon. La pire des choses serait de le recroiser, soit dans ce bar miteux, soit à l'extérieur en voulant quitter les lieux. Même si, désormais, j'avais de plus en plus confiance en notre duo, à Prudence et moi. Rien n'était sans danger, évidemment, mais nous étions toutes deux suffisamment réactives et réfléchies pour nous en sortir. Je ne savais pas encore si c'était le cas de ma coéquipière, mais j'y croyais très fort et, jusqu'à maintenant, je nourrissais une petite fièreté personnelle à vivre cette aventure hors du commun.

Je suivis Prue jusqu'à la table du fond, en avançant lentement, toujours aux aguets. Personne ne leva les yeux vers nous, comme si nous étions invisibles. Les conversations s'entremêlaient les unes les autres dans un brouhaha ambiant. Certains sorciers jouaient à des jeux miniatures et animés, en s'exclamant parfois un peu plus fort que les autres. Un autre sorcier dormait profondément, la joue écrasée sur sa table, la bouche grande ouverte avec son petit filet de bave absolument charmant. Je pris place aux côtés de Prudence. Pas en face d'elle, mais à côté, pour garder un oeil sur le bar et l'entrée par laquelle nous étions arrivée, qui devenait désormais une sortie. J'espérais qu'elle reste une sortie normale, et non pas une sortie de secours.
Le plateau vint vers nous et ma coéquipière du moment commanda un whisky bien fort. Je me doutais que la petite Prue n'était pas une amatrice d'alcool de pilier de comptoir, bien évidemment. Mais la voir dans cette situation était tout de même assez drôle et inédite. Du moins, je le supposais. C'est pourquoi un sourire narquois apparu sur mon visage, sans lâcher Prue du regard. J'étais sans doute la seule personne au monde qui aurait le privilège d'être témoin d'une scène comme celle-ci avec elle. Et vice-versa. Quoique... Me mettre dans des situations délicates était ma spécialité. Mais il est vrai que, à part avec Victoire, le danger en dehors de Poudlard m'était relativement inconnu. Le plateau s'arrêta sous mon nez d'un mouvement sec. Toujours un sourire aux lèvres, je lui répondit.




La voix de Prue semblait plus calme désormais, même si elle gardait en tête la possibilité que l'aventure ne soit pas encore terminée. Je scrutais des yeux l'entrée de la taverne qui, effectivement, n'était pas du tout à portée pour une fuite rapide ou discrète.




Les deux verres d'Ogden’s old arrivèrent rapidement sur le plateau. Effectivement, s'il fallait boire ça, je ne parirais pas trop longtemps sur notre capacité à réfléchir de manière censée et rapide. Le plateau s'arrêta à notre hauteur et je saisis les deux verres old fashion dans lesquels une liquide marron et épais se balançait allègrement. Le plateau repartis et je posais le verre de Prudence sur la table miteuse, avec un grand sourire. Je levais le mien vers la jeune fille amusée par la situation.




Puisqu'il fallait trinquer à quelque chose, je ne voyais pas de meilleures raisons que celle-ci. J'approchais doucement le liquide de mes lèvres pour en goûter une toute petite goutte. Le goût s'empara de toute ma bouche en un instant et me fit grimacer, malgré la retenue que je tentais d'avoir. J'avalais le liquide extrêmement fort avec difficulté et sentis ma gorge se réchauffer instantannément. Je ne comprenais pas comment les ivrognes pouvaient prendre du plaisir à ingurgiter un tel alcool. Je posais délicatement mon verre devant moi, tout en me disant que le goût infâme du whisky me resterait pour toujours dans la bouche. Je regardais ensuite Prudence. Malgré cette aventure, nous n'avions pas encore eu l'occasion de discuter réellement.

Je suivais rapidement le regard de Prudence vers le lustre au-dessus de nous. Effectivement, dans le genre intimidant, ça se posait là. J'esquissais un léger sourire, pile entre l'amusement - notamment suite à la boutade de Prue - et le dégoût. A qui avait bien pu appartenir ce crâne ? Malgré ma curiosité, je pense que j'étais tout de même mieux sans connaître cette réponse.

Ce fut au tour de Prue de goûter la liqueur. J'étais intimement persuadée que les effets étaient les mêmes sur elle que sur moi. Son visage tentait bon gré mal gré de rester neutre, mais ne pouvait s'empêcher de se crisper sous la brulûre de l'alcool. Ma gorge me piquait tellement que je ne pouvais pas m'empêcher de tousser, dans l'espoir de calmer l'effet de ce liquide infâme. Je riais en même temps. La situation était très drôle, ou peut-être que les nerfs relâchaient un peu la pression aussi. Je ne pûs m'empêcher de pouffer lorsque Prue reposa son verre bien plus loin que là où il était au départ. Effectivement, il valait mieux ne pas poursuivre cette dégustation. Les adolescentes que nous étions ne pouvaient absolument pas prétendre garder leur self-control après un verre aussi fort que celui-ci. Ce whisky était sans doute à 50°, soit parmi les alcools les plus forts servis en bar. Des petits gabaris comme nous, uniquement habitués à la bièraubeurre, ne pouvait pas tenir la longueur.

Parler un peu de Poudlard nous permettait sans doute de laisser retomber quelque peu la pression qui nous étreignait depuis le début de l'aventure. Penser à autre chose et avoir une conversation normale, c'était tout ce que l'on pouvait s'offrir d'agréable pour le moment. Un peu de répit. Je n'oubliais cependant pas le but de ma venue ici. Il fallait absolument que je tombe sur cet apothicaire qui pourrait me vendre ces fichues tentacules de Murlap et ces oeufs d'Occamy pour ma préparation totalement clandestine de la potion Felix Felicis - en imaginant évidemment qu'elle serait une réussite, ce qui n'était pas à parier pour une première tentative. La question était : est-ce que je réussirais à arriver vivante jusqu'à cette boutique ? J'esquissais un léger sourire en y pensant. Dans mes souvenirs, l'Allée des Embrumes n'était pas un endroit aussi coupe-gorge que ça, je pense que nous étions tout simplement mal tombée avec Prue - ou du moins tombées sur les mauvaises personnes.

La réponse de Prudence concernant Poudlard ne m'étonnait guère. Rares étaient les personnes qui n'aimaient pas cet établissement. Si ce n'était pour ses cours, au moins pour ses murs. Ma coéquipière me retourna la question, évidemment, et je pris un petit temps avant de répondre, en la regardant droit dans les yeux.




Je m'arrêtais un moment, en regardant la lumière qui se reflétait sur nos deux verres de whisky. J'aimais tellement ce genre de relations avec les gens. Les défier, les énerver, les faire entrer dans ce jeu de chat et souris auquel je jouais sans cesse. Avec certains, le jeu était vraiment établis : il y avait une certaine forme de tolérance qui s'établissait entre le représentant de l'autorité que je défiais et moi-même. C'était le cas notamment avec notre cher bibliothécaire, mais aussi avec des personnes plus inattendue comme Blackwood, la préfète de Gryffondor.




Un paradoxe assez trouble dans mon esprit d'ailleurs. Peut-être que je m'y sentais plus libre parce que je risquais moins gros en défiant le règlement à l'école que dans la vraie vie ?




Tiens, tiens, c'est vrai ça. Je me souvenais avoir dit à Prudence que je cherchais un apothicaire, mais elle... Qu'est ce qu'elle cherchait dans cet endroit qui, de toute évidence, ne correspondait absolument pas à une jeune fille de son genre ?

Je ne saurais pas dire pourquoi, mais la réponse de Prudence me faisait du bien. Je me doutais bien que je n'étais pas la seule à me sentir bien à Poudlard, mais l'entendre faisait toujours plaisir. De plus, Prue avait l'air d'être le genre de fille qui ne juge pas les autres. Ca se voyait en partie dans son regard souvent bienveillant. Une fille au bon fond, de toute évidence. Totalement à l'opposé de ce que j'étais, finalement. Pourtant, nous étions là, le Yin et le Yang, à nous trouver finalement d'autres points communs que cette désastreuse aventure. Ce temps calme était nécessaire à notre santé mentale. Un moment où l'on apprenait à se connaître un tout petit peu. Est ce que je serais venue vers Prue si l'on n'avait pas été embrigadées dans cette course-poursuite ? Je ne pense pas. Est ce que l'on se serait parlées à Poudlard au détour d'un couloir ? Les chances étaient minimes. Finalement, il ne me fallait qu'une situation dangereuse et probablement mortelle pour améliorer ma sociabilité. Je m'améliorais !

Je regardais Prue avec attention lorsqu'elle parla d'un apothicaire. Le hasard allait-il jusque là ? Vraiment ? J'esquissais un large sourire, à la fois surprise mais aussi amusée par la situation. Je pense qu'a toutes les deux, nous devions certainement battre des records de probabilité. Se retrouver là, en plein mois d'Août, bien avant la cohue de la rentrée, dans l'allée des embrumes, au même moment, pour trouver le même apothicaire, ça relevait du surnaturel.

Sérieusement ?

Je suivis le regard du Prudence vers le groupe de sorciers sobres-archi-sobre qui venait de s'installer à quelques mètres de nous. Je fronçais légèrement les sourcils jusqu'à ce qu'ils commandent et se lancent dans une conversation, sans nous prêter attention. Tout comme Prue à ce moment là, je me méfiais de tout le monde. Deux adolescentes n'étaient apparemment pas les bienvenues dans l'Allée des Embrumes, alors encore moins dans une taverne du coin. Pour ne pas attirer l'attention, je me rapprochais de Prudence, pour parler moins fort.





J'écoutais son histoire avec intérêt. Moi qui étais pourtant très assidue aux cours de Soins aux Créatures Magiques, je n'avais absolument aucune idée de ce que pouvaient être ces vivets dorés. Cependant, l'histoire de ma compagne de galère me fit sourire, non pas pour son sujet tragique, mais pour son but en soi.




Effectivement, loin de moi l'idée d'imaginer Prue avec une quête maléfique. Ceci dit, en plus de ne pas être banale, son but était même empreint d'un certain héroïsme. Ma question allait sans doute paraître stupide, mais je décidais de me lancer :




Je lançais des coups d'oeil furtifs au groupe à côté de nous, dont les paroles diminuaient petit à petit en terme de volume.

Étrangement, nos verres ne se vidaient pas plus que la micro lampée que nous avions tentée tout à l'heure. L'idée que le Ministère pouvait venir nous cueillir pour l'utilisation de la magie en dessous de l'âge légal requis et dans un but d'attaque, le tout couronné par des mineures en état d'ivresse était amusante, mais certainement pas à tenter. C'est ça qui était sage dans notre escapade - et pourtant, je n'avais absolument pas l'habitude d'employer ce mot - : malgré notre envie de ne pas baisser les bras et de poursuivre notre but premier, nous ne tentions pas non plus le diable. Notre curiosité ne nous avait pas amenée à entrer dans la boutique principale de chez B&B, mais les événements n'avaient vraiment pas joué en notre faveur. Pareil pour ce trou paumé qui servait de taverne miteuse. Sans notre assaillant, nous n'aurions jamais imaginé mettre les pieds dans un endroit pareil.

Prue me confirma que nous nous rendions au même endroit. Ça allait faciliter les choses en effet. Je n'étais absolument pas de celles qui font les boutiques entre copines, mais je devais avouer que dans ce cas de figure-là - et c'était encore un fois bien rare que je puisse admettre cela - il était important de rester ensemble. Jusque là, aucune de nous ne s'en serait probablement sortie si l'autre n'avait pas été là pour aider. Inutile, donc, de jouer les solitaires à ce stade de la partie. Je réfléchissais à la dernière fois que j'avais pénétré dans cette boutique. Comment l'avais-je trouvée ? Qu'est ce qui aurait pu nous mettre sur la voie ? Un détail me revint en une fraction de seconde




C'était à ça que l'on reconnaissait chez Vice et Malmeney : pas d'enseigne, pas de nom nulle part, uniquement cette devanture un peu atypique qui cache bien son identité de boutique, sans doute pour plus de discrétion. Si la petite Anderson n'était jamais rentrée dans cet endroit, il était fort probable qu'elle soit passée devant et l'ait raté. En tout cas, même si Prue ne voyait pas où était l'endroit, on avait quand même un indice sur comment le reconnaître.

L'histoire de Prue était intéressante. Je ne connaissais pas l'existence des Vivets Dorés avant qu'elle ne m'en parle, mais le ton de sa voix donnait presque l'envie de lutter pour cette cause. Quoi ? C'était de l'empathie que je ressentais ? Il faut dire que la petite ne cachait pas du tout que le sort de ces petites bestioles lui tenait vraiment à cœur. Son discours était passionné, à la limite du militant, et surtout empreint d'une sincérité absolue. Ça la rendait attendrissante, quelque part.




J'esquissais un léger sourire.
La table à côté de nous ne m'inspirait définitivement pas confiance, et je me retins de jeter un nouveau regard dans leur direction. Ils avaient l'air de rechercher la discrétion, il valait sans doute mieux ne pas tomber dans un nouveau quiproquo à ce stade de l'aventure. Je pensais ne pas me tromper en me disant que Prue et moi étions suffisamment fatiguée de notre escapade pour ne pas rentrer dans une nouvelle fuite effrénée.




Je lançais le mouvement, dans le calme, en me levant lentement. Je vérifiais très discrètement que ma baguette était toujours à portée de main avant de m'éloigner lentement de la table. Il s'agissait à présent d'aller régler notre consommation peu consommée, en espérant ne pas s'attirer d'ennuis suite à notre jeune âge. Mais l'un des types de la table d'à côté avait remarqué notre départ, et lança d'une voix forte :




La plupart des autres clients de la taverne firent silence, pour voir ce qu'il se passait. Le brouhaha ambiant diminua donc d'un coup et mon sang se glaça. Pour la discrétion, c'était loupé. Je me retournais rapidement vers le type en question. Je me retins autant que possible pour ne pas lui jeter de regard noir et me contentais de faire non de la tête. Il se leva donc pour saisir nos deux verres pleins sur notre ancienne table et les posa sur sa table à lui. Je lançais un regard blasé à Prudence, puis fermais les yeux un court instant, dans l'espoir qu'en les réouvrant, tout le monde serait retourné à sa petite conversation. Ce fut plus ou moins le cas, effectivement, mais le volume sonore global restait néanmoins plus bas que tout à l'heure. Je m'approchais donc du comptoir, quelques mornilles à la main, pour passer l'épreuve redoutée du règlement des consommations. L'idée de prétendre que nous nous étions trompée dans l'appellation de notre boisson était toujours une solution possible en cas de problème suite à notre âge. J’espérais tout de même que nous n'aurions pas besoin de discuter davantage.

Dé !:

HRP: